Par Anouk Dunant Gonzenbach
Quand Denise écrit un poème, elle tire sur le chavazzin, le petit bout de laine qui permet de dérouler la pelote, c’est son nom en romanche. A partir de ce brin attrapé, les mots sortent, déterminés par le premier, par le début de l’idée.
En 1950, Jo et Mo, deux jeunes femmes fraichement belles-sœurs qui s’entendent bien, sillonnent la campagne vaudoise à vélo pendant leurs quelques moments de libre. Mo me raconte tout cela aujourd’hui, et désormais il ne reste presque plus personne qui les a connues à cette époque, sur leur bicyclette. Le récit est tellement vivant qu’on se dit que chaque Mo devrait avoir une Jo, et inversement, pour traverser les champs, les aventures, les enfants et la vie pendant septante années. Régulièrement, Jo et Mo s’arrêtaient au bord d’un champ. Il fallait un creux dans la terre, trois bouts de bois, une allumette et deux tasses en fer blanc. Dans lesquelles faire bouillir le café. Le meilleur café de la terre, et c’était reparti, pédaler le long du Jura. Trois bouts de bois créent les souvenirs les plus présents.
En discutant avec un ami l’autre jour, j’en viens à évoquer le tiroir de la table de la cuisine chez ma grand-mère, plein de ficelles de paquets postaux attachées les unes aux autres par un nœud plat et roulées en boule. A la sortie de la guerre, on ne jette rien. Pour attacher les rosiers à leurs tuteurs, la grand-mère nous envoyait fouiller dans ce tiroir de la table de la cuisine, et il ne fallait pas oublier de revenir avec les ciseaux. Des grands ciseaux à moitié rouillés, pour couper la ficelle à la bonne longueur, entre les nœuds de rafistolage. Dans les plates-bandes fleuries d’un grand jardin à l’ancienne, la ficelle ne se voit plus, mais elle remplit son office.
J’aime à croire qu’un jour, quelqu’un écrira un livre dans lequel à la fin, l’héroïne sauvera le monde grâce à trois petits bouts de ficelle. Trouvés dans le tiroir de la table de la cuisine de sa grand-mère.
Mai 2021