par Anouk Dunant Gonzenbach
C’est l’histoire d’une journée qui a pour but de réaménager une chambre afin d’accueillir quelques jours une famille, c’est donc l’histoire d’un dimanche où tu te réjouis dès le début d’en arriver à la fin. Parce que rangement implique fatalement tri, et comme souvent chez toi le tri de livres, le douloureux tri de livres. De CDs aussi, pas de quartier, de ces dizaines de dizaines de CDs lamentablement inutiles soigneusement camouflés depuis des années dans, dessous et derrière des étagères. Tu ne les écoutes plus, mais tu les aimes.
Alors tu remplis des sacs de livres (surtout ne pas reculer, ne pas réfléchir, ne pas tourner la première page), tu les harnaches sur ton vélo destination la boite à échanges. Sur le trottoir à côté des voies couvertes, cube de métal gris éphémère récipiendaire de trésors qui se partagent. Tu y déposes aussi pas mal de bandes dessinées (c’est dur, c’est dur) que tu arranges joliment sur le muret à côté de la boite. Trafic de vélos et de piétons qui regardent, posent, prennent, arrêts fugitifs ou concentrés. Les yeux puis les mains qui butinent.
Deuxième trajet une heure plus tard (surtout ne pas reculer, ne pas réfléchir, ne pas tourner la première page de chaque livre). La première livraison entièrement cueillie. Une dame regarde un xylophone en plastic rouge, tape dessus avec la baguette, te dit dans un français hésitant pour mon petit-fils d’un an. Tu regardes l’instrument, les deux rangées de touches sont mélangées, les noires avec les blanches, elle a l’impression que des notes manquent. Alors à côté d’elle tu remets les lamelles dans l’ordre, vous chantonnez ensemble en vérifiant la gamme.
Arrive une autre dame et son petit chien, qui vous demande s’il y a des disques aujourd’hui. Non, mais comme le tri est en cours à la maison, tu lui dis que tu reviendras dans l’après-midi. La musique c’est ma vie, te dit-elle, pourriez-vous me les réserver ? Tu lui proposes de se retrouver à la boite un peu plus tard, mais elle a peur de rater le rendez-vous. Tu suggères alors qu’elle te donne son numéro de téléphone, mais ni elle ni toi n’avez de quoi écrire. La grand-maman au xylophone est encore là, vous lui demandez par gestes un stylo. Pendant ce temps deux personnes déposent leur cargaison, trois choisissent de nouvelles lectures.
Toute une vie bruisse autour de cette boite à échange, qui donne une seconde vie aux choses de chez nous. Pour finir, tu iras livrer les disques à la dame en bas de chez elle, vous discuterez au pied de son immeuble. C’est l’histoire de trois stations à la boite à échanges aujourd’hui, sous le soleil exactement, trois rayons dans une journée qui s’annonçait d’un triste tri, miel d’échanges de mots et de regards qui ne seraient pas venus au monde sans la boite à échange d’objets, c’est l’histoire d’une reine du quartier.
Août 2024
Paru dans Quartier-Libre n. 131, automne-hiver 2024-2025.