Nous ne les lirons plus dans notre journal, les mots du localier, les nouvelles des roses trémières et de leur jardinière, des sentiers au bord du Rhône, la voix des personnes sans-abris. Nous lui souhaitons bonne route, au localier, il reste un vide, et du fond de nous, nous le remercions infiniment d’avoir tout remarqué, de l’avoir relaté, mis en lumière, pour sa plume sur le bitume.
Dans un monde normal, le prochain paragraphe, il serait consacré à la suite, à ce qui continue. Parce qu’à la Tribune, il y a des journalistes – et aussi des photographes – formidables, des personnes aux vraies qualités humaines et professionnelles, celles et ceux que nous aimons lire, que nous avons besoin de lire, qui examinent la vie d’ici, qui font leur travail ici.
Nous ne sommes plus dans un monde normal. Menaces sur la Tribune, profonde inquiétude pour la Julie. Ce joli surnom lui est donné en 1879 par un Georges Favon énervé par sa belle-sœur ainsi nommée, qui préférait «La Tribune» au journal «Le Genevois» de son célèbre beau-frère, homme politique et leader radical. Comme il ne supportait pas de prononcer le vrai nom de son concurrent, Favon a commencé à parler du «journal de Julie» puis de «la Julie». Depuis presque sa naissance, le surnom de Julie colle aux pages de notre Tribune.
Sa naissance : en 1875, l’américain James T. Bates achète le «Continental Herald and Swiss Times», un journal lu par les Britanniques de notre région et lui donne le nom de «Geneva Times». En 1879, le titre se transforme en langue française et devient «La Tribune de Genève». Gros succès populaire, notamment en raison de son prix: 5 centimes le numéro, vendu à la criée. Le premier quotidien romand à un sou.
Et d’un coup d’un seul, tout pourrait être fini. Je ne sais pas ce que j’y peux, à part prendre mon stylo pour écrire en bleu. Pour témoigner que nous vous aimons, toutes celles et ceux qui écrivent et fabriquent la Tribune. Que chercher ce journal dans la boîte aux lettres et l’ouvrir à côté de sa tasse de café, c’est le matin quotidien. La prise de pouls de la vie à Genève. Le cœur ne peut pas s’arrêter. Bonne route au localier, et toutes nos pensées vers celles et ceux de la rue des Rois. Encore espérer.
Suite au cri du cœur au sujet des bornes en bibliothèque, nous ne pouvions en rester là. Alors est née, par un collectif d’habitantes et d’habitants de la Ville une pétition, intitulée «Pour le droit d’emprunter et de rendre des livres en toutes circonstances aux bibliothécaires dans les bibliothèques municipales de la Ville de Genève et pour favoriser les liens entre public et professionnel.les ».
Le contexte
Depuis une dizaine d’années, les bornes automatiques qui permettent l’emprunt et le retour des livres sans contact avec un.e bibliothécaire ont fait leur entrée dans les bibliothèques municipales. Une telle machine peut ponctuellement satisfaire des besoins d’emprunter un livre en toute discrétion ou de rendre un document rapidement si cela est nécessaire.
Dans un article intitulé « Les machines appelées à rendre les bibliothèques plus humaines » paru dans nota (le journal des bibliothèques municipales, Genève, ville de culture, n. 6 septembre 2023-janvier 2024), il est annoncé qu’à terme les bornes vont se multiplier et que les bibliothécaires n’auront plus le droit d’effectuer les emprunts et retours de livres mais que le public sera obligé de faire ces deux opérations auxdites bornes. L’argument principal avancé dans l’article par les promoteurs de cette évolution est de libérer du temps de « manutention » des bibliothécaires afin de leur permettre d’interagir davantage avec le public.
Notre position
Cet argument va à l’encontre des missions de base des bibliothèques, qui sont de renseigner le public, le conseiller et le former à l’utilisation des bibliothèques (Règlement d’utilisation des bibliothèques municipales LC 21 631.1 du 1er octobre 2016). En effet, le cœur du métier de bibliothécaire est le conseil, qui s’effectue en premier lieu lors de discussions pendant les opérations de prêt et de retour des livres. Le premier lien entre les bibliothécaires et les usagères et usagers se tisse lors de ces moments. Et qui mieux que les bibliothécaires peuvent contribuer à accompagner dès le plus jeune âge leur public dans ce monde où l’éducation à l’information est un enjeu sociétal majeur ?
De plus, remplacer des personnes par des machines aura pour conséquence une perte des compétences professionnelles et le risque d’engendrer des compressions en personnel. Enfin, la multiplication des machines, leur entretien et leurs remplacements va au rebours de toute considération sur le développement durable.
Les liens et les échanges entre les personnes, les conseils donnés par des professionnel.les compétent.es, l’éducation à la recherche documentaire ainsi que la lecture gratuite sont des fondamentaux à préserver. Nous sommes persuadé.es que les activités de prêt et de retour des documents auprès des bibliothécaires sont les bases de toute médiation culturelle en bibliothèque et un service public à conserver.
La pétition demande que
Les bibliothécaires restent les interlocuteurs privilégiés et incontournables pour les opérations de prêt et de retour des documents.
L’installation des bornes automatiques dans les bibliothèques soit limitée au strict nécessaire (une borne par bibliothèque).
Cette pétition a été envoyée munie de plus de 250 signatures à la Commission des pétitions de la Ville de Genève. Le texte se trouve ci-dessous. Parallèlement, Laurence Corpataux, conseillère municipale, a déposé une question écrite au Conseil administratif sur le même sujet.
Encore et toujours, s’indigner
On pourra répondre qu’il ne faut pas aller contre son temps, que ces évolutions sont inéluctables, qu’on en serait encore au boulier si le monde n’était pas allé de l’avant. Certes. Cela a beaucoup remué dans la tête. Mais nous pensons profondément que chaque cassure de lien humain mérite que l’on s’indigne. Comment doit être le monde dans lequel nous souhaitons vivre ?
« Konrad Witz en chantier », un projet que nous avons imaginé, rêvé en couleurs, créé puis réalisé en grand. Il s’agit d’un dispositif en trois objets qui accompagne la restauration du temple de la Fusterie:
Le photomontage Déplié de Jean Stern, une oeuvre d’art de grand format (5m sur 12m) appliquée sur une structure rigide en accordéon, est dressé devant la façade sud du temple de la Fusterie. Visible sur le temple jusqu’à la fin des travaux de restauration, il a été réalisé par l’artiste plasticien Jean Stern, en collaboration avec la directrice adjointe des Archives d’Etat Anouk Dunant Gonzenbach et le pasteur Jean-Michel Perret. Cette œuvre propose une relecture du tableau de Konrad Witz La Pêche miraculeuse, datant de 1444 (coll. du Musée d’art et d’histoire, Genève). Ce tableau, fleuron du patrimoine genevois, est célèbre pour l’intégration de la scène de la pêche miraculeuse dans le paysage genevois de l’époque, ce qui est la première représentation dans l’histoire de l’art d’un lieu topographiquement exact et reconnaissable.
Quinze panneaux historiques qui décrivent l’histoire de Genève, de la Réforme et du temple de la Fusterie (avec traductions en anglais) : ces panneaux de grande taille installés sur les palissades du chantier du temple constituent une exposition en plein air à visiter en se promenant autour du chantier. Réalisés en collaboration avec l’historienne de l’art Erica Deuber Ziegler, ils retracent l’histoire de la place de la Fusterie, de son temple – premier lieu de culte protestant érigé dans l’enceinte de la ville de Genève – et du chantier de restauration en cours. Ils couvrent ainsi une période qui s’étend du Moyen Age à nos jours.
Mon recueil Un tableau mais pas que. La pêche miraculeuse de Konrad Witz (éd. Slatkine, juin 2024), qui propose un récit de l’histoire du tableau et de son peintre du Moyen Age à nos jours à travers différents lieux emblématiques de Genève et qui fait revivre aux travers des tribulations de ce tableau tout un pan de l’histoire locale. La seconde partie de l’ouvrage raconte le processus de création qui a mené à la réalisation du photomontage Déplié et s’interroge sur le sens que nous pouvons donner à ce tableau aujourd’hui.
Mon message du 17 juin 2024 lors de l’inauguration :
« Nous sommes en l’an 30, les disciples pêchent sur le lac de Tibériade mais leurs filets restent désespérément vides. Jésus, qui se trouve incognito au bord du rivage dit alors aux pêcheurs bredouilles de jeter leur filet du côté droit de la barque. Le filet se remplit, la pêche est miraculeuse.
Nous sommes en 1444, à Genève, Konrad Witz actualise cette scène de l’évangile (il y en a deux en réalité, je ne rentre pas ici dans les détails) dans un environnement naturel reconnaissable, contemporain et topographiquement exact. Witz actualise le message. Dans sa Pêche miraculeuse, depuis le bas de l’actuelle place des Alpes, nous voyons Jésus aux Pâquis et la Savoie en arrière-plan.
En 1444, Genève est prospère. Les foires battent leur plein. Genève est une des premières places d’échanges commerciaux en Europe. On y vend de tout, même du gingembre, du poivre, du riz, du sucre candi. Nous sommes en 1444, à Genève, la population grandit, il y a environ 10 000 habitants, ce qui en fait une grande ville. Pour loger tout ce monde, les faubourgs grossissent, surtout celui de Saint-Gervais, la rue de Coutance vient d’être bâtie. La région est en paix. Ce qui est assez rare dans l’histoire, car Genève est une cité épiscopale que les puissants cherchent constamment à s’approprier. La preuve par l’Escalade.
Nous sommes en 1444 à Genève, Konrad Witz réalise ce tryptique commandé par l’évêque de Genève François de Metz. Le retable est installé dans la cathédrale Saint-Pierre. Lors des célébrations, les Genevoises et Genevois voient maintenant en face d’eux des hommes simples pêcher dans leur lac et le Christ marcher sur ces eaux familières pour les aider et les réconforter, ils sont les témoins de cette scène.
Les Genevois ne verront pas si longtemps que ça ce tableau, car en 1535, dans une Genève, qui se réforme, les images ne font pas long feu dans les églises. Les iconoclastes lacèrent à coup de lames les visages des personnages saints du retable, et pas de main morte, mais la pêche est miraculeusement est sauvée. Commencent les tribulations du tableau, de bibliothèques successives en musée. Perdu pendant 150 ans, ressorti de l’oubli en 1901, la pêche miraculeuse devient la plus célèbre œuvre d’art de Genève et un marqueur de l’histoire de l’art européen parce qu’elle représente ce premier paysage topographiquement exact que l’on connaisse. Ce tableau devient à l’ouverture du Musée d’art et d’histoire en 1910 son fleuron. Restaurée complètement en 2012, son histoire et sa matérialité en ont été écrites à cette occasion en un ouvrage qui fait date, sous la direction du professeur Frédéric Elsig et de César Menz.
Nous sommes aujourd’hui à Genève. Assis dans la salle 401 du Musée, nous regardons ce tableau dans tous les sens, en longueur, en largeur, en profondeur et dans toutes ses dimensions, hier aujourd’hui et demain, tout est juste avec lui, dans tous les sens il fait sens. Ce message d’il y a deux mille ans, actualisé en 1444, parle pour aujourd’hui.
La pêche miraculeuse, un tableau, un très célèbre tableau, un tableau dont la proximité ne cesse de surprendre, un tableau mais pas que. Tout est présent dans ce tableau, le lac de Tibériade et des racines très profondes, Genève, Jésus, Jésus à son époque, Jésus au Moyen Age et Jésus aujourd’hui, l’histoire de la Réforme, celle de Genève, l’Art, les textes, la Parole, la Parole décalée, Jésus demain, l’eau, le lac Léman, le Salève. Alors continuons l’histoire, et actualisons aujourd’hui ce qui a été actualisé il y a 580 ans.
Nous sommes aujourd’hui à Genève, voici le dévoilement d’un projet prêt en réalité depuis sept années, un projet qui déplie l’an 30, l’an 1444 et aujourd’hui, qui relie aujourd’hui d’une manière ou d’une autre la Pêche miraculeuse sortie de la cathédrale par les Réformés à un lieu cultuel protestant mais sous un autre angle et à l’extérieur, qui fait parler à nouveau une image dans une religion qui les a évacuées depuis des siècles, qui transmet un message pour l’esprit par une œuvre d’art aujourd’hui symbole de Genève, qui propose une œuvre commandée par une Eglise qui reprend une œuvre commandée par une autre Eglise il y a 580 ans, qui place au centre-ville, sur une place qui est une case bleu foncé du Monopoly un tableau qui contient à lui seul cinq cent ans d’histoire genevoise. »
Le spectacle «Dire la ville». Jeudi dernier à l’Alhambra, la Fanfare du Loup, le Théâtre Spirale et le Chœur ouvert ont dit la ville. Dit, chanté, dansé même, et pour les citer, tout cela dans un «grand charivari intergénérationnel et impertinent». Les jeunes ont murmuré, crié, articulé, donné leurs mots, cela aurait pu être un peu déprimant, cela a été joyeux. Joyeux, avec leurs sourires en forme d’ancrage et d’espérance. Une formidable énergie issue d’un formidable projet.
Joyeux, sauf la fin. Reprenons au début. L’entrée sur scène des artistes se fait depuis le fond de la salle, en un cortège musical décoré par d’immenses lampions blancs, de la poésie à l’état pur. Ces lampions, ce sont les élèves des classes d’orientation professionnelle 219 et 220 qui les ont réalisées. Dire la ville a intégré dans ce projet un travail artistique et d’écriture avec ces classes. Il en résulte un très bel objet, une petite publication qui contient des textes écrits par ces élèves. Des récits de migration.
Joyeux, sauf la fin. Parmi ces élèves, Ali. Ali, jeune requérant migrant, a mis fin à ses jours en décembre dernier. Comme plusieurs avant lui. Genève n’a pas réussi à faire attention à sa détresse. Au bout de deux ans de ce qui aurait pu être la construction d’un avenir, nous l’avons enterré avec ses rêves. Dire la ville lui est dédié, une chanson lui est adressée. Le théâtre entier le pleure, à la fin. Il reste ses mots, inscrits dans la petite publication. «En Afghanistan j’étais berger. Je voulais aller à l’école. En Afghanistan, il n’y a pas d’école. Je suis parti quand j’avais douze ans. […]. Ma mère était très triste. Mais je lui ai dit au téléphone: c’est comme ça.»
Genève a les moyens de prendre mieux soin de ces enfants venant de si loin au prix de tant de dangers. Traumatismes. Genève pourrait faire autrement que refuser des permis de travail à des jeunes qui sont désespérément en attente d’une réponse à leur demande d’asile. Ali et les autres perdent leur sourire, choisissent les étoiles. Je ne peux pas me résigner à dire «c’est comme ça». Genève ne peut pas être comme ça.
Revenons sur le sujet des bornes. En bibliothèque, cette fois. Je prends celle de mon quartier, la bibliothèque municipale, un étage adulte, un étage enfant (enfin c’était avant, maintenant c’est des espaces). Les miens d’enfants, depuis qu’ils sont petits, ils empruntent des livres, participent à tous les ateliers géniaux organisés par les super bibliothécaires, se croient comme à la maison.
Et puis, insidieusement, des bornes sont apparues. Plus possible d’emprunter un livre au guichet, il faut aller à la borne. Comme drillés, les bibliothécaires, il me semble à contre-cœur souvent. Peut-être qu’on leur a dit que cela libère du temps pour d’autres tâches, comme la médiation culturelle, le graal du graal. Je soupçonne quand-même que derrière tout ça, il y a une pensée un peu économique, quand il n’y aura plus que des bornes, ça fera des sacrées économies de personnel. La pire des dystopies : petit à petit, comme dans les grandes surfaces, comme face à l’automate My Post 24, nous serons face à des machines et plus à des êtres humains. Et il n’y aura plus de vrais bonjour-aurevoir.
L’importance d’une bibliothèque municipale, donc de proximité, moi j’ai toujours cru que la base, c’était un échange entre, disons, un enfant qui rend un livre, qui dit ce qu’il en a pensé, qui demande un conseil, qui est tout content parce que la bibliothécaire qui le connaît depuis qu’il a deux ans va chercher le bon livre, puis recommande à l’enfant suivant ce que le précédent a bien aimé. L’enfant, maintenant, il se retrouve face à une borne.
A l’étage du bas, aux adultes, moi je triche. Parce que je les aime bien, mes bibliothécaires. Au fil du temps, on se connaît, on se refile des tuyaux de vacances au moment d’emprunter un guide, ils et elles me font découvrir de nouvelles parutions. Alors je triche, je ne vais pas à la borne. J’ai l’impression de faire un acte rebelle. Je revendique l’importance de rencontrer une personne humaine plutôt qu’un écran. Envers et contre tout, je continue de penser que la meilleure des médiations, à la bibliothèque, c’est un échange entre deux personnes.
Alireza a sauté du pont. Rejoindre les étoiles était préférable pour lui à un renvoi en Grèce, son enfer de Dante. Il voulait que sa souffrance s’arrête. Son espoir est mort là, à deux pas de chez nous, chez nous. On ne pouvait pas dire que l’on ne savait pas.
On ne pourra pas dire plus tard que l’on ne savait pas. Car oui, on le sait, que les conditions de vie dans les foyers ne sont pas une vie. On le sait, que des enfants sont condamnés à y attendre une décision insoutenable. On le sait, que dans les premiers pays d’accueil, en Grèce, en Croatie et ailleurs, les gens croupissent dans des camps, sont trop souvent victimes de violences et en sont réduits au désœuvrement, à une attente sans fin qu’il vente ou qu’il neige, que le soleil tape fort ou que les pluies inondent leurs baraquements de fortune. On le sait, que ceux qui décident l’inhumain sont bien loin à Berne et que sur le terrain souffrent les humains.
Les associations, les Eglises, le CSP, les engagé.e.s, ils témoignent, alertent, écrivent, pétitionnent, accompagnent depuis des années. Jeudi passé, la voix des jeunes a résonné. Ils comptent sur nous pour l’amplifier. Ils n’ont plus que nous, mais ils nous ont. Soyons dignes de leur dignité, de la confiance qu’ils nous font, qu’ils ont exprimées, jeudi soir dans la nuit de décembre, au pied de l’Hôtel de Ville. Avant de retourner au foyer de l’Etoile, là où aucune ne brille.
Nous, Genevoises et Genevois, habitons à côté de ce centre d’hébergement fédéral pour mineurs. C’est chez nous, alors nous ne pouvons pas fermer les yeux ou nous taire. Crions, indignons-nous, interpellons encore plus fort le Secrétariat d’Etat aux migrations et les autorités fédérales. Ils rendent des décisions mais c’est chez nous que les enfants sautent du pont. Genève ne doit plus le tolérer. Genève doit montrer sa solidarité. Genève doit se soulever. La pression ne doit pas se relâcher.
En ce temps de Noël, prenons le temps de réfléchir à l’hospitalité.
*
Paru dans la Tribune de Genève, La lettre du jour, 15 décembre 2022.
Il y a des choses immuables. La tarte aux pruneaux du Jeûne genevois en fait partie, couper chaque moitié du fruit en deux avec trois générations au-dessus de la table de la cuisine. C’est ce qui reste de cette pratique qui vient de l’antiquité, jeûner pour des raisons médicales ou spirituelles, puis de la tradition biblique, jeûner en cas de guerre, de cataclysme naturel, de maladie, de deuil, par solidarité avec des répressions qui ont lieu ailleurs ou en cas d’épidémie. Peut-être qu’on devrait réellement jeûner, en fait. A défaut, on se raccroche aux pruneaux (je me répète, coupés en quatre), on profite de la chance qu’on a et on garde ces moments précieusement.
Il y des choses que l’on croyait immuables, mais à notre grande stupeur, non. Les pruneaux ont mûri trop tôt et, selon la Tribune du jour, Genève perd ses pruniers. Climat, économie. Mais bon, ce petit billet se destine plutôt à regarder très loin en arrière. En s’inspirant largement des textes cités en référence.
Tout d’abord, qu’est-ce qu’un jeûne ? Depuis l’Antiquité, le jeûne est pratiqué pour des raisons médicales ou spirituelles. Dans la tradition biblique, le jeûne est présent dès l’Ancien Testament. On jeûne en cas de guerre, de cataclysmes naturels, de maladies et épidémies et de deuil.
Et en Suisse ? En Suisse, on jeûne depuis le 15e siècle. La Diète (assemblée des députés issus des cantons) organisait des journées de pénitence et d’actions de grâces en cas d’événement grave comme la peste, la guerre ou la famine, mais les cantons décidaient des modalités et de la forme de ces jeûnes.
Le jeûne à Genève Le premier jeûne dont on trouve une trace dans les archives est célébré en octobre 1567 à l’occasion d’une répression contre les protestants de Lyon. Le procès-verbal de la Compagnie des pasteurs du 5 octobre 1567 indique qu’il est «signifié le jeusne public, et toute l’Eglise exhortee a prieres extraordinaires et repentance.»
Il y eut certainement des jeûnes antérieurs qui ont eu lieu dès les premiers temps de la Réforme, mais ils ne sont pas documentés. D’autres jeûnes sont proclamés par la suite, par exemple en signe de solidarité avec le massacre de la Saint-Barthélémy en 1572 ou lors des guerres contre la Savoie en 1589. Dès 1640, comme dans l’ensemble des cantons suisses réformés, le jeûne devient quasi annuel. Il s’agit d’un acte moral et religieux, un signe d’affliction et d’humilité face aux malheurs du monde.
Lorsque Genève est annexée à la France entre 1798 et 1813, le jeûne devient une fête patriotique et permet de marquer tant l’identité protestante que genevoise. Cette couleur patriotique du jeûne est maintenue à Genève, qui décidément ne fait jamais rien comme les autres et qui instaure un jeûne genevois à une autre date que celle du Jeûne fédéral institué en 1832 par l’ensemble des cantons suisses chaque troisième dimanche de septembre.
En effet, les protestants genevois ne sont pas d’accord avec cette décision fédérale œcuménique et en 1837, quelques pasteurs annoncent le rétablissement du Jeûne genevois le jeudi – seul jour de la semaine sans marché- qui suit le premier dimanche de septembre. Ces pasteurs célèbrent trois cultes à la Madeleine, à Saint-Gervais et à Saint-Pierre, puis sont censurés et l’un est même suspendu de prédication pour six mois.
Pour finir, en 1840, Genève instaure officiellement son propre Jeûne, accompagné d’un jour férié jusqu’en 1869. A partir de cette date, il devient moins institutionnel et commence à perdre sa signification religieuse.
Le 8 janvier 1966, le Grand Conseil modifie une loi et déclare férié le jour du Jeûne genevois à la place du 1er mai. Ainsi, Genève garde son jeûne genevois le jeudi suivant le premier dimanche de septembre.
La tarte aux pruneaux Comme l’écrit Claude Bonard, «telle est donc l’origine des jeûnes qui consistent à « offrir sa faim au profit d’une cause. Mais l’estomac ayant tout de même ses exigences, il fallait tout de même prendre quelques forces. » Et c’est là qu’intervient la désormais traditionnelle tarte aux pruneaux. Cuisinée la veille, elle permettait aux femmes et aux domestiques de participer au culte du jour (culte qui au 18e siècle commençait tôt le matin pour se terminer à quinze heures). Au départ, c’était la seule collation de la journée, puis de fil en aiguille elle est devenue le dessert d’un bon repas dont chaque famille a sa propre recette.
Une bonne tampougne au Salève En triant il y a quelques années la bibliothèque de ma grand-mère, je suis tombée sur Le Livre de Blaise écrit par Philippe Monnier en 1904. Un livre que je détestais, car quelque part il y est écrit que «les filles, ça pleure tout le temps», phrase que nous répétait régulièrement ladite grand-mère pour nous reprocher la moindre larme qui menaçait de couler. Avant de le jeter par la fenêtre, je l’ai quand-même feuilleté et je me suis réconciliée avec ce texte et cette écriture genevoise savoureuse, au point de rire de bon coeur avec son protagoniste, le petit Cuendet, qui s’y exclame: « Le Jeûne, c’est un jour où on se paie une bonne tampougne au Salève » !
Extrait du procès-verbal de la séance de la Compagnie des pasteurs du vendredi 5 octobre 1567: « Au commencement d’octobre vindrent nouvelles de la prinse de Lion et des troubles de France recommenceant. Pourtant fust signifié le jeusne public, et toute l’Eglise exhortee a prieres extraordinaires et repentance. »
Lettre ouverte à Monsieur Gilbert Vonlanthen, Président, et aux élu.e.s des communes membres de l’Association des communes genevoises (ACG)
Monsieur le Président de l’ACG, Mesdames et Messieurs les élu.e.s des communes genevoises,
Il neige sur Genève
en ce soir du premier avril 2022, il neige sur le temple de la Servette qui
depuis quelques jours n’accueille plus les sans-abris, il neige et nous voici
au sous-sol de ce temple réunis autour d’une table ronde sur la précarité,
découvrant que, faute de moyens, d’autres lieux d’accueil ont fermé leurs
portes ce matin.
Il neige et nous
sommes aux côtés de personnes qui vont dormir dehors ce soir après cette table
ronde, il neige et nous sommes aux côtés des travailleurs sociaux
institutionnels et associatifs, ceux du terrain, ceux qui se sont démenés tout
l’hiver. Ils sont complètement démunis et impuissants, parce qu’il neige, et
que 225 personnes dorment dehors à partir de cette nuit.
Elles dorment dehors
à partir de cette nuit parce que l’aide d’urgence est saisonnière et qu’elle
s’arrête au 31 mars, faute de ressources mises à disposition. Dès ce soir, les
structures d’urgence sont fermées. Alors à Genève, ville couleur bleu foncé sur
le Monopoly mondial, 225 personnes dorment dehors. Dans les parcs et sous les
ponts. La neige tombe.
Il y a urgence sociale,
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les élu.e.s des communes
genevoises, il y a urgence à ce que la Ville et les communes se mettent
d’accord sur le financement de l’accueil d’urgence des personnes sans abri. Nous
savons que des négociations vont avoir lieu ces prochains jours et qu’elles
peuvent régler une grande partie de la question.
Il y a urgence à
mettre en œuvre une politique sociale sur le sans abrisme et la grande
précarité comme l’exige la loi sur l’aide aux personnes sans abri, la LAPSA,
votée le 3 septembre 2021 par le Grand Conseil. Cette loi établit, dans son article premier, qu’elle vise à
garantir à toute personne sans abri la couverture de ses besoins vitaux.
Cette loi a été
votée en septembre passé, nous sommes en avril. Il y a urgence sociale. Des
vies humaines sont en jeu. La solution est entre vos mains, Monsieur le
Président, Mesdames et Messieurs les élu.e.s, il faut octroyer les moyens
nécessaires maintenant, pas après-demain, via le fond intercommunal de l’ACG.
225 places
d’hébergement manquent depuis cette nuit du 1er avril. Il y en avait
579 pendant l’hiver, il n’en reste que 354. Et il neige. La solution est entre
les mains des communes, qui doivent assurer l’hébergement collectif d’urgence,
incluant les repas qui y sont consommés et les soins élémentaires d’hygiène qui
y sont dispensés (art. 3 de la LAPSA).
Alors nous,
citoyennes et citoyens, attachés au principe fondamental de la dignité humaine
garanti par la Constitution, indignés que des personnes dorment dehors sous la
neige à Genève alors que la solution est à portée de main, nous vous demandons,
Monsieur le Président de l’ACG, Mesdames et Messieurs les élu.e.s des communes
genevoises, de délivrer immédiatement cette aide inconditionnelle, comme le
prévoit l’article 2 de la LAPSA.
Nous vous prions de recevoir, Monsieur le Président de l’ACG, Mesdames et Messieurs les élu.e.s des communes genevoises, nos salutations distinguées.
Anouk Dunant Gonzenbach; Maurice Gardiol; Jean-François Duchosal; Denise Mützenberg
Cette lettre ouverte est également signée par:
Bénédicte Amsellem-Ossipow; Isabelle Anderegg; Didier Arnoux; Aline Amman; Association Eric Roset photographe; Daouda Bagagnan; Léonore Baheler; Maria Manuela Bailao; Valérie Balleys; Julie Barbey Horvath; Michel Bavarel; Dina Bazarbachi; Roland Benz; Monique Bernhard; Eric Bernhard; Céline Berset; Nathalie Berset; Joëlle Bertossa; Sébastien Bertrand; Antoine Beuret; Alain Bolle; Didier Bonny; Nadia Boreggiani; Bernard Bucher; Sophie Buchs; Maryelle Budry; Pierre Bühler; Nicolas Burlet; Clément Bucco-Lechat; La Caravane sans frontières; Inès Calstas; Marozia Carmona Fischer; Maria Castro Fuchs; Émilienne Cavazzana; Noémie Chatelanat; Christiane Chanson; Olivier Chanson; Sandra Cherpillod; Françoise de Cocatrix; Ludivine Cornaglia; Astrid Costes; Loraine d’Andiran; Catherine d’Andiran; Christian Dandrès; Alexandre Davidoff; Véronique Davidoff; Anne-Claire Decorvet; Claire de Buren Massy; Marie de Coulon; Filipe A. Contreira de Almeida; Léa Di Paolo; Patricia Dori-Chatelan; Claire Descombes; Christine Dowmont; Sarita Dumitriu; Christiane Dunant; Véronique Dunant; Eric Dunant; Marc Dunant; Lucien Durand; Jasmine Egli; Caroline Eichenberger; Walter el Nagar; Pierre Emonet; Cyril Erni; Micael Fernandez; Ingrid Freymond; Aurélien Fontanet; Jean-Luc Fornelli; Désia Fournier; Jacques Fournier; Nicolas Fournier; Cécile Frossard; Stéphane Fuchs; Giuseppe Fusco; Antonio Gambuzza; Anne François; Edith Gardiol; Raphaël Gardiol; Paul Ghidoni; Fabienne Gigon; Hélène Gerster; Laure Giossi; Véronique Girardet; Regina Ghosn; Lila Gonzenbach; Martin Gonzenbach; Jocelyne Haller; Aude Hauenstein Fleury; Marie-Hélène Giroud Tschopp; Sandra Golay; Francisco Gonzalez; Raluca Hartu; Marie-Claude Hefti; Martha Herrera; Antoinette Hofer; Joël Hofer; Pascal Holenweg; Jordan Holweger; Manon Hotte; Lysiane Hulser; Anne Hugo Erni; Stéphanie Jaquet; Annick James; Françoise Julier-Costes; Léo Kaneman; Théo Keel;Jean-Pierre Keller; Catherine Koch; Nadjète Krounba; Caroline Lacombe; Christian Lanza; Florence Larsen; Victoire Lecuyer; Ana Maria Lopez Galeano ; Christophe Loup; Yves Magat; Nathalie Magnin; Ada Manghi; Raymonde Manigley; Dorothée Marthaler Ghidoni; Catherine Méan; Michael Mann; Sandra Mann; Béatrice Manzoni; Silvana Mastromatteo; Lucie Matthey Bradley; Noam Mazenauer; Gaëlle Merminod; association Mesemrom; Thérèse Moreau; Nataniel Mendoza; Judith Meylan; François Mireval; Tiberiu moldovan; Janine Moser; Henry Mottu; Liliane Mottu-Weber; Marcel Mühlestein; Isabelle Muletier; Jala Nemchi; Marion Nemchi; Michèle Nemitz; Martina Novotni; Annelise Ogi-Hurni; Fabio D’Onofrio; Fanny Omar; Marguerite Papis; Jean-Pierre Papis; Damien Pattaroni; Guenevere Paychère; Mai-Thu Perret; Mladenka Perroton-Brekalo; Colin Peillex; Nicolas Pictet; Valérie Piguet; Géraldine Puig; Fitore Pula; Christiane Rist; Gilbert Rist; Isabel Rodriguez; Nathalie Ruegger; Francisco Rojas; Alina Roset; Almaya Roset; Eric Roset; Dimitri Ruiz; Mattia Sabbatini; Juliette Salaices Alba; Michel Schach; Cindy Schaer; Simon Schmidig; Mireille Senn; Sylvia Serafin; Isabella Siddiqi; Baudoin Sjollema; Frederik Sjollema; Silvia Stendardo; Noémie Sommer; Didier Soncini; Valérie Spagna; Franca Stahl-Vilar; Danya Stasius; Brigitte Studer; Karin Strescher; Daniel Schweizer; Francesca Suardi; Irène Toro; Brigitte Thévenon Mossi; Sylvain Thévoz; Dorothée Thébert; Gérald Thomann; Evelyne Vachoux; Ria van Beek; Patricia Vatré; Laurianne van Bever; Suzanne Vetterli; Hans-Ruedi Vetterli; Stéphanie Vez Turin; Anita Varela; Barbara Vischer-Schmidt; Oscar Vilar; Sophie Wahli-Raccaud; Nathalie Wenger; Inès Wiesner; Joanne Wiesner; Françoise Wos; Yasmine Yagchi; Ludivine Zanetta Corbat; Linda Zehetbauer; Carla Zepeda Giger; Manuel Zwyssig Philippe Bertin; Sylvie Bertin; Lorianne Cherpillod; Rose-Marie Völki; Camille Barbey; Laetitia Reversy; Jean-François Berger; Mireille Rupp; Françoise Wierbrok; Anne Reversat; Ruth Hutmacher; Anne Vandeventer Faltin; Louki Mattenberger; Marianne Studer; Suzanne Nozaki; Maud Saini; Fiera Falcone; Flore Castiglione; Myriam Magnenat; Michel Jeanneret; Philippe Bertin; Sylvie Bertin; Lorianne Cherpillod; Rose-Marie Völki; Camille Barbey; Laetitia Reversy; Jean-François Berger; Mireille Rupp; Françoise Wierbrok; Anne Reversat; Ruth Hutmacher; Anne Vandeventer Faltin; Louki Mattenberger; Marie-Hélène Giroud Tschopp; Françoise de Cocatrix; Claude Lander; Maria Lander; Henriette Leubaz; Joëlle Grandjean; Claire-Lise Moser; Stephan Bratschi; Eva Abouchar; Elisabeth Beer; Pierre-André Wasser
235 personnes ont ajouté leur nom à la pétition en ligne ouverte entre le dimanche matin 3 avril et le mercredi soir 7 avril ( nous avons dû mettre en place ce système de pétition en ligne, n’arrivant plus à gérer le nombre de mails de soutien qui arrivaient. L’Esprit de Genève n’est pas un vain mot).
Cette lettre ouverte a été envoyée par courriel le dimanche soir 3 avril 2022 au Président de l’ACG, au comité de l’ACG ainsi qu’aux conseillères et conseillers administratifs des communes genevoises, munie de plus de 300 signatures
Au total, 535 personnes auront signé la lettre ouverte.
Après 4 jours de médiatisation de la situation et de négociations à différents niveaux, l’Association des communes genevoises a voté un crédit extraordinaire de 6,2 millions provenant du Fonds intercommunal lors de son assemblée générale de mercredi soir 6 avril 2022.
«Sans-abris : pour une politique cohérente et coordonnée – débat» . Pascal Décaillet reçoit Maurice Gardiol, Signataire de la lettre à l’ACG; Thierry Apotheloz, Conseiller d’Etat, cohésion sociale; Bertrand Reich, Président du PLR genevois », Genève à chaud, Léman bleu, 5 avril 2022.
L’objet se décline en couleurs pastel et goûts de l’enfance.
Ses concepteurs, évidemment malins, l’ont produit satiné, agréable à caresser,
le design super bien pensé. On dirait un petit stylo, d’ailleurs les parents et
profs pensent que c’est un petit stylo. Ou une nouveauté geek de jeune gamer,
qui donnerait presque envie de se mettre à jouer. Le tenir en main est déjà une
sensation qui fait plaisir. Il ressemble à tout sauf à ce qu’il est : la
nouvelle version de la cigarette électronique. Son nom : le puff.
Jetable, quasiment invisible à détecter, fumable partout en
continu, en classe, dans les couloirs du cycle, dans sa chambre. On se le
procure au kiosque en face de l’école primaire, au rayon sucettes. Une dizaine
de francs la pièce, 600 taffes, le vendeur n’est pas regardant sur l’âge de
l’acheteur, qui d’ailleurs le fauche souvent.
L’enfant, l’ado, suçote ensuite sans s’arrêter ce biberon,
qui contient 5% de nicotine. Puis il le jette à la poubelle en revenant des
cours, pas de risque que le parent tombe sur la cigarette électronique
rechargeable (ou le paquet de cigarettes de l’époque) planqué dans la pile de
caleçons. Quand il vape, pas de
fumée et les adultes autour n’y voient que du feu, on est en retard de trois
guerres comme d’habitude depuis que le monde est monde, et je suis en colère. C’est
comme d’utiliser les dernières découvertes de la psychologie pour rendre les
ados encore plus accros aux jeux en ligne, de développer cet objet diabolique
pour les rendre dépendants à cette substance psychotrope.
Le puff ne rentre pas dans le cadre de l’initiative « Oui à
la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le
tabac » car ce n’est pas du tabac. Dedans (mais ce n’est pas fait pour
être ouvert, puisqu’on le jette après usage), il y a une batterie, une
résistance qui fait corps de chauffe, une petite led qui s’allume quand on
aspire et une sorte de ouate imbibée de sirop de glycol et de nicotine. Catastrophe
écologique.
Un biberon à la nicotine. On le tète sans pause et on le jette. Marshmallow et sirop de fraise, tétine et douceur, addiction et tête de mort.
Madame la Conseillère fédérale, Cheffe du département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication, Vous qui pouvez faire quelque chose de mieux pour le monde en vos titres et fonctions, et aussi quand même avec votre cœur de citoyenne du monde,
Ces mots s’adressent en particulier à vous. Parce que de près ou de loin, vous pouvez faire quelque chose pour que ça aille mieux. Nous, c’est un peu plus limité.
Après tout, il ne s’agit que de sauver le monde.
Ce monde est plein d’espérance, nous sommes plein.e.s d’espérance, nos jeunes ont besoin d’espérance. Et là, à Berne, pourrait en éclore une magnifique bulle. Pour un avenir meilleur, un avenir qui s’écrit en couleurs, un avenir plus durable, plus social, plus humain. La Suisse peut le faire, à l’aube de Noël. Ce serait une belle histoire, ce sera une belle histoire. A l’aube de Noël, un message monte au ciel depuis le Palais fédéral. Ici, avec notre histoire, notre savoir-faire, nous nous retroussons les manches. Vous pouvez la faire, la stratégie pour lutter contre le réchauffement climatique, on peut la faire.
C’est dans nos gènes, c’est dans notre Constitution. Son préambule annonce le programme. « Le peuple et les cantons suisses, conscients de leur responsabilité envers la Création, résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l’indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d’ouverture au monde, déterminés à vivre ensemble dans le respect de l’autre et l’équité, conscients des acquis communs et de leur devoir d’assumer leurs responsabilités envers les générations futures, arrêtent la Constitution que voici. »
Leur devoir d’assumer leurs responsabilités envers les générations futures. Quel programme, quel texte puissant et magnifique. Un monde plus juste. Nos ancêtres étaient déjà sur le coup. Quelque chose s’est perdu en route, mais en ce Noël 2021, en pleine cinquième vague de pandémie, portée par les grèves du climat, l’engagement des jeunes, de leurs parents et grands-parents, de nos experts, la Suisse ne renonce pas à espérer. Ce serait une belle histoire, qui s’écrirait maintenant.
A l’aube de Noël 2021, dans le temps du présent, une force créatrice émane du Palais fédéral et nous tire au-delà de ce que nous pouvions imaginer. Nos enfants vivent dans le présent et peuvent désormais avoir une vision d’avenir, un avenir à construire, parce que le système qui va droit dans le mur a été mis à nu, parce que les études scientifiques prennent le dessus, parce que le Gouvernement l’entend et agit.
Il y a plus de deux mille ans, un menuisier et une mère ont accepté, debout, ce qui était impensable, pour la promesse d’un monde d’amour qui retournait tout. Madame la Conseillère fédérale, à l’aube deNoël 2021, notre Gouvernement, debout, peut ouvrir un nouveau pan de l’histoire. Nous comptons sur vous, pour que ce soit la lumière qui prenne le pas au cœur de Berne, pour que nous puissions être fier.ère.s de ce pays, pour que l’histoire continue dans le bon sens.
Je vous prie de recevoir, Madame la Conseillère fédérale, l’expression de mes sentiments distingués.
Dans la boîte aux lettres, un flyer. Quelques jours plus tard, une lettre de trois pages. De La Poste, ces deux envois. Pour annoncer l’inauguration prochaine de la nouvelle filiale des Charmilles.
Elle n’est pas très nouvelle, cette filiale, puisqu’il
s’agit en réalité d’un déménagement. La Poste des Charmilles, qui fut d’un côté
de la place, puis de l’autre, mais dans un bâtiment exprès pour elle, est
installée désormais dans le centre commercial de Planète-Charmilles. Histoire
de bien rassembler sous les néons sans âme un bout du géant jaune avec le
reste, des échoppes que je préférais largement fréquenter le long de la rue
sous les humeurs changeantes du ciel.
Tous ces courriers m’expliquent que je vais largement y gagner au change, parce qu’il y aura un nouvel Automate My Post 24 dans le dispositif. Grâce à cette évolution, «certaines prestations postales seront accessibles de jour comme de nuit». Comme je rêvais de retirer des paquets à deux heures du matin, je serai une femme comblée. Bien sûr, il faudra scanner un QR code imprimé (en installant l’application Post-App mais ceci est une autre histoire). La prose postale m’explique bien qu’il s’agit d’un service «très prisé et apprécié».
C’est un peu comme les fraises en hiver de l’autre géant, le
orange, celui qui est à l’étage du dessous. Le jour où je lui ai demandé la
pertinence de les vendre en février, il m’a répondu que c’était une demande des
clients, et que celles en provenance du Portugal étaient très goûteuses à cette
saison. Très performants en matière de création de demandes des clients, les
géants.
Si je comprends bien, les horaires d’ouverture des guichets
de cette filiale postale du quartier sont réduits au fil du temps (à part le
samedi après-midi qui devient ouvert, je le reconnais de bonne foi), mais des
automates les remplacent. Dans chaque quartier, moins de personnes derrière les
guichets (ou les caisses des supermarchés d’ailleurs), mais plus de robots. Pour
autant que ça marche, car « si tous les compartiments de l’Automate My Post 24 sont déjà
utilisés, vous devrez retirer votre envoi au guichet » (guichet dont
l’horaire sera réduit). Un peu comme l’automate pour rendre ses livres H24 à la
bibliothèque de la Cité, en panne depuis plusieurs mois.
Je ne prise ni n’apprécie de m’adresser à un automate. J’aime le contact, même bref, avec la postière (rappelons que Saint-Jean, irréductible, avait sauvé sa poste, hommage à ces héro.ïne.s) le facteur, la fleuriste, les boulangères. Evidemment, il y a celles qui travaillent tôt, ceux qui rentrent tard. Il devrait être possible d’élargir les horaires des guichets (même pas de les élargir, en fait, de les remettre à une version d’il y a quelques années) en engageant des vraies personnes.
Si l’humain arrive à créer des montages financiers qui rendent impossible tout traçage à travers des dédales de sociétés-écrans dans des multitudes de paradis fiscaux, il doit bien être capable d’inventer un système économiquement viable pour que les géants continuent à offrir du travail à des vraies personnes à qui l’on peut dire de vrais bonjour-aurevoir.
Je suis pour les framboises en été, les paquets distribués derrière cette vitre qui monte et qui descend (des paquets contenant des cadeaux faits à la main, pas des actions Amazon), l’avis de ma pharmacienne, les nouvelles du chien de notre caissière, les conseils des bibliothécaires, les boîtes à échange, le travail pas noir, les cafés suspendus, les tulipes dans la rue, les bons gros géants humains, locaux et durables.
Novembre 2020. Je ressors ici cet texte que j’avais écrit au printemps 2018.
Fin de printemps 2018. Le conseiller fédéral dernier élu en date voit
comme un avantage les exportations d’armes vers les pays en guerre
civile. Jusqu’à aujourd’hui, la majorité de notre gouvernement faisait
bloc. Et là, ça se renverse.
Résultat : exporter du matériel de guerre dans des pays en conflit
civil devient possible. Mais comme en Suisse on prend ses précautions,
on soigne les apparences, on place un nain de jardin sur le bout d’herbe
qui dépasse, un bateau blanc sur un lac bleu, on passe à la broyeuse
les archives compromettantes, on va s’assurer qu’il n’y aura qu’un
faible risque que le matériel vendu soit utilisé dans l’objectif pour
lequel il a été fabriqué.
Le monde prend l’eau de toutes parts, les enfants mexicains sont
enlevés à leur parents à la frontière étasunienne, les état se battent
pour ne pas accueillir les bateaux Aquarius, les hauts commissaires aux
droits de l’homme ne tiennent pas le coup plus d’un mandat, les
Rohingyas sont toujours massacrés, et la Suisse étend la vente des
armes.
En toute hypocrisie diplomatique. Une auréole au-dessus du Palais fédéral. Une franche poignée de main virile qui tue.
Cette fois, on ne pourra pas dire, cinquante ans plus tard, qu’on ne savait pas.
Qu’on accueille des réfugiés qui racontent leurs souffrances, venus
de conflits négligés par la presse dans l’indifférence générale, qu’on
ne croit pas lorsqu’ils affirment être en danger, et qu’on vend des
vieux chars qui par divers détours approvisionneront ces mêmes conflits
et contribueront à créer plus de morts et de réfugiés, une boucle pas
stoppée, aucun intérêt de l’arrêter tant que ça enrichit, alors c’est
bien mieux de prolonger les conflits. Lire le livre de Martin Sutter, le Cuisinier. Auréole de lingots d’or au dessus du Palais fédéral.
Cinquante ans plus tard, on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.
Qu’on ne savait pas que des enfants allaient se tirer dessus, otages de
deux armées adverses, des enfants qui n’auront jamais 12 ans.
On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas que, que, … Commencer une liste à la Prévert ? Non.
Le monde prend l’eau de toutes parts, et dans ce pays, dans mon pays,
en quelques lignes, on va encore plus y contribuer. Entre huit
bouteilles de champagne dans un hôtel de luxe de Saint-Moritz, la messe
est souvent dite, entre capitaines et leurs états-majors économiques, on
aide à s’entre-tuer.
La Suisse vend des armes. Règne de l’économie, hypocrisie. Tradition
humanitaire. Sur la croix blanche sur fond rouge, sur la croix rouge sur
fond blanc, des enfants soldats morts. La Suisse continue à vendre des
armes, mais désormais en mieux. Continuons à regarder le mondial de
foot.
Je vous invite à participer au projet suivant: un texte ou poème par jour comme calendrier de l’Avent sur ce blog!
Par Anouk Dunant Gonzenbach
Nous ne savons pas si l’Avent sera en confinement ou pas, mais le mois de décembre arrive et je vous propose de participer au projet du calendrier de l’Avent en poésie: un texte ou poème par jour, sur le thème du sapin, de la pomme, de l’étoile, de l’hiver ou de Noël, ou même de n’importe quoi, mais illuminé par une lumière positive, écrit par des autrices et auteurs différents. Chaque jour un texte sera publié sur ce blog. Puis chaque texte sera imprimé et suspendu à un sapin à pommes ambulant tiré par un vélo qui circulera dans les rues de Genève la semaine précédant Noël.
Si vous souhaitez participer, envoyez-moi un texte (et ce qui serait formidable une photo l’illustrant) à l’adresse suivante: courrier@virusolidaire.ch . On bricolera au fur et à mesure: si beaucoup de textes arrivent, on pourra les regrouper en bouquets par journée.
Pourquoi
unsapin à
pommes et à roulettes ?
Pour le Noël 2014 est née l’idée du sapin à
pommes mobile, à l’origine dans le cadre des événements de Noëls organisés par
l’aumônerie de l’Université de Genève.
Le sapin a accompagné ces Noëls pendant cinq années en roulant dans la
cité, distribuant des pommes aux passants et accompagnant les soirées de chant
gospel au kiosque des Bastions.
Il a provoqué de beaux échanges, des
dialogues surréalistes, des interpellations amusées, un intérêt sincère. Sa
simplicité a désarmé. On ne s’y attendait pas du tout. Nous avons découvert
qu’offrir une pomme et un sourire, souvent, c’est juste ça, l’esprit de Noël.
En 2019, le sapin a ajouté des poèmes sur
ses branches. Un dimanche après-midi de décembre, nous nous sommes réunies, un
bouquet de femmes, autour d’une table de la Treille dans le cadre d’un
laboratoire d’écriture pour une lecture de textes; ces textes ont ensuite été
suspendus au sapin avec des rubans.
Ce sapin à pommes à poésie à roulettes a circulé dans les rues de la ville, de la poésie a ainsi été offerte aux passants pendant toute la semaine précédant Noël.
Pourquoi des pommes sur le sapin ? petit retour historique
Simplicité. Qui vient de loin, on n’a rien inventé. Voici un bref résumé, tiré du livre de mon ancien prof de l’Uni François Walter et d’Alain Cabantous. Dès la fin du Moyen Age, on met des végétaux aux fenêtres de maisons au milieu de l’hiver, mais cela n’a encore rien à voir avec Noël, on se protège comme cela des mauvais esprits, des sorcières et des démons. Puis on commence à disposer des arbres dans l’espace public et le sapin est choisi, le seul qui est vert en hiver, symbole de vie, et c’est plus joli d’avoir du vert qu’un tronc tout nu.
On est alors en 1521 à
Sélestat en Alsace, où les archives gardent la trace d’un sapin coupé qui sert
de décoration. Le sapin devient associé à la fête de Noël et entre ensuite
gentiment dans les maisons, et quand il n’y a pas de place, il est suspendu au
plafond.
Dès le début, le sapin est décoré avec des belles pommes rouges (qui rappellent aussi l’arbre de la faute d’Adam et Eve), des noix et des fleurs en papier. Le 18ème siècle voit un grand essor du sapin de Noël, le 19ème siècle est celui de l’apparition des bougies. Les pommes sont encore là, parfois dorées, avec des sucreries.
Le sapin de Noël se répand en Europe du nord, et une romancière anglaise raconte qu’en 1836 on vend à Vienne des sapins déjà ornés d’une pomme, d’un fruit sec ou d’un pain d’épices. Selon la légende, l’année 1860 subit une mauvaise récolte de pommes. Les artisans verriers inventent alors des boules en verre soufflé pour les remplacer. A la fin du 19ème siècle, les boules et les santons sont fabriqués en série et dès 1950 les décorations de Noël s’industrialisent et deviennent plus uniformes.
Alors les pommes sur un sapin, c’est un peu un retour aux sources, mais surtout c’est simple et comme c’est beau.
Référence :
Alain Cabantous, François Walter, Noël. Une si longue histoire…, Editions Payot & Rivages, Paris, 2016.
Ma pièce de deux francs est bien là, j’ai vérifié, dans mon porte-monnaie. Pédaler jusqu’à la gare, s’arrêter devant la vélo-station, glisser la pièce dans la fente, recevoir la carte journalière, ouvrir la porte, parquer le vélo dans l’abri, marcher jusqu’au quai et boire tranquillement un café en attendant le train. Je me réjouis, avec le Covid ça fait longtemps que je ne suis pas sortie du canton, cette visite professionnelle s’annonce comme sur des roulettes.
Sauf que. L’automate à carte journalières pour bicyclettes est défectueux, il n’accepte pas ma pièce. J’espère que le type à l’autre bout de l’interphone va me débloquer la porte. Pas du tout, il me conseille de télécharger l’application ad hoc. J’obtempère. Il faut un mot de passe. Le temps passe. Saisir une deuxième fois le mot de passe pour être sûr. Forcément mon doigt tape à côté. Je commence légèrement à m’énerver. C’est bon, il est accepté. L’application doit être liée à une autre déjà installée, la Swisspass. Donc entrer son mot de passe. Je suis censée m’en souvenir ? Je le redemande. Un lien est envoyé dans ma boîte e-mail. Cliquer. Le temps passe, le train avance.
Je franchis le niveau 2 du jeu, les applications sont reliées. Je soupçonne que la machine a été bloquée exprès, pour nous faire télécharger l’application, après plus besoin de l’entretenir, la machine. Je monte les tours.
Choisir le produit souhaité : une carte d’un jour pour se garer dans la vélo station. Mode de payement ? Application Postfinance. Tiens, elle s’ouvre toute seule. Douée d’une vie propre. Mot de passe ? Je transpire. Ah oui. J’ai tout. Je présente le QR-Code, la porte ne s’ouvre pas. Je suis à deux doigts de lancer un coup de poing dans l’interphone du pauvre type à l’autre bout qui n’y peut rien. Je profite de l’ouverture de la porte de quelqu’un d’autre, certainement un être supérieurement intelligent.
Après, il faut un autocollant mais ce n’est pas comme si l’application m’en informerait. L’être supérieurement intelligent et habitué de la nouvelle procédure me sauve à nouveau. Lancer mon Iphone par terre, non, inutile. Je ne suis pas faite pour ce monde-là, j’aimerais glisser ma pièce de deux francs dans la machine ou mieux, une personne à l’accueil à qui sourire.
Je lutte contre les caisses automatiques à la Coop, je tiens à échanger avec la caissière ou le caissier. Mais il paraît que je mène un faux combat, que la caisse automatique procurera à cette personne un meilleur métier. J’ai surtout peur qu’il n’y ait plus personne du tout.
Ne suis-je pas faite pour ce monde-là où quasiment toute action nécessite trois applications ?
Ou faut-il chercher ailleurs les échanges et les sourires et la simplicité et le temps – exprès choisi avec un battement pour s’arrêter sur le quai un café à la main et non pour télécharger frénétiquement?
PS : au cas où, la vélo-station derrière la gare Cornavin ne s’appelle pas Cornavin mais Montbrillant. J’ai sélectionné la mauvaise station, voilà pourquoi la porte ne s’ouvrait pas.
Il y a des choses immuables. La tarte aux pruneaux du Jeûne genevois en fait partie, couper chaque moitié en deux avec trois générations au-dessus de la pâte. C’est ce qui reste de cette pratique qui vient de l’antiquité, jeûner pour des raisons médicales ou spirituelles, puis de la tradition biblique, jeûner en cas de guerre, de cataclysme naturel, de maladie, de deuil, par solidarité avec des répressions qui ont lieu ailleurs ou en cas d’épidémie. Peut-être qu’on devrait réellement jeûner en fait. A défaut, on se raccroche aux pruneaux, coupés en quatre, on profite de la chance qu’on a et on garde ces moments précieusement.
Il y des choses que l’on croyait immuables, mais à notre grande stupeur, non. Leur symbole aujourd’hui, c’est la plaine de Plainpalais sans chapiteau, la rentrée sans les affiches à lettres jaunes, le début septembre sans cirque Knie. Du solide, pourtant, adapté au fil du temps, plus de lions ni de girafes mais toujours autant de poésie. Mon plus beau souvenir, Dimitri et son énorme bulle de savon dans une lumière translucide et à peine perceptible. Nos parents ont grandi avec la famille Knie, nous aussi et nos enfants continuent. Je ne sais pas vous, mais moi chaque année je verse quelques larmes à la fin quand ils sont tous là à saluer, de Marie-José à la petite Chanel. On croyait cette année encore aller applaudir les hommes de pistes et respirer l’odeur du pop-corn, la plaine est vide. Bâton de bois sans barbe-à-papa.
Il y a des choses qui ne sont pas immuables et c’est tant mieux me dis-je en pédalant un peu lourdement lestée de la fameuse tarte, c’est ce qui se passe dans ma ville en ce moment avec les pistes cyclables. Cela paraissait impossible mais c’est arrivé, l’aménagement peut bouger, la répartition se modifier. D’un coup, des bandes jaunes essaimées, des vélos, de plus en plus. Ce n’est pas encore assez pour y être, dans ce monde plus local, plus humain et plus durable, il y a encore beaucoup à lutter, à défiler, à interpeller, à changer, à voter. Mais c’est déjà un pas pour voir Genève avec fierté.
C’est ainsi que j’aimerais voir les choses avancer. Evaluer,
garder ce qui est bien du monde d’avant, et sinon modifier. Courageusement. Et rapidement.
Juste là, aujourd’hui, je garde la tarte aux pruneaux, l’envie d’applaudir Knie l’an prochain, le rosé du Mandement bientôt partagé entre amies, l’espoir du monde d’après qui prend la couleur des logos jaunes des pistes cyclables.
Le 8 juin est la date annoncée officiellement par le Conseil fédéral pour la réouverture des salles de lecture des bibliothèques. Date symbolique, car dans les faits toutes les institutions n’ouvrent pas leurs portes en même temps. Une des grandes étapes du déconfinement. Accès libre à toutes les lettres de tous le mots de tous les livres.
J’ai choisi cette date pour faire évoluer ce blog. Le compteur de jours (dé)confinés s’arrête ; les publications vont s’espacer. Je continuerai à mettre en ligne au fil de l’eau et avec un immense plaisir tous les textes, poèmes ou réflexions sur un aujourd’hui et un demain autrement que je recevrai (courrier@virusolidaire.ch ).
Chère, Cher Aujourd’hui,
Je m’étais promis de t’écrire mais le temps passe finalement très vite, alors je me suis levée plus tôt ce matin. Je vais écrire un peu en vrac. Les bulles s’agitent dans tous les sens. Le confinement ne nous laisse pas indemnes. Nous sommes tellement à espérer qu’il n’y ait pas de retour à l’anormal, que demain soit autrement, et demain c’est aujourd’hui.
Un aujourd’hui humaniste, local et durable, comme le demande l’appel du 4 mai.
On nous reproche de rêver, on nous dit que le bateau doit redémarrer, n’importe comment, mais qu’il ne peut pas couler. Que ce n’est pas le moment de demander des trucs, de vouloir changer, quand la majorité de la planète se bat juste pour manger. Qu’il ne faut pas se focaliser sur les avions et sur l’aide massive sans condition qui leur est apportée (à la radio, il y en a quand même une qui a réussi à dire qu’elle ne voyait pas pourquoi il fallait exiger des conditions climatiques à l’aide à l’aviation puisque l’équivalent n’était pas demandé à la culture. Tant de mauvaise foi). Rêver, ce n’est pas supprimer les avions (ou les bananes ou les avocats dans les magasins ou ou ou) c’est utiliser moins, de manière plus réfléchie, envisager les alternatives.
Nous
pensons qu’il faut pédaler, aller au marché de produits locaux, chez les
libraires de la place. Penser autrement, inventer une économie autrement.
Évidemment que ce n’est pas simple. Mais si l’humain arrive à créer des sociétés écran dans des îles fantômes grâce à des montages inextricables et indécelables, je ne vois pas pourquoi il n’arriverait pas à être autant créatif pour imaginer des entreprises locales rentables employant celles et ceux qui ne seront plus dans le domaine de l’aviation ou la fabrication d’armes vendues en pièces détachées à des pays où les enfants qui doivent les utiliser n’atteindront jamais leurs douze ans. A partager l’espace public pour toutes les formes de mobilité, mais le partager vraiment.
Celles et ceux qui hululent contre les cyclistes depuis des jours et des jours ont-ils tous payé leur nounou/femme de ménage/personnel de maison pendant le confinement ? Ont-il précédemment toujours engagé légalement dans leurs restaurant leurs employés ? Ou contribuent-ils à faire augmenter la queue chaque samedi aux Vernets ?
Chacun.e ses paradoxes. Il ne sert à rien de reprocher aux jeunes qui luttent pour le climat d’utiliser des Smartphone. Ces jeunes bougent, nous font bouger, appellent.
Chère, Cher Aujourd’hui, je t’avais prévenu que j’écrirais en vrac. L’économie, la mobilité, la solidarité, la revalorisation de beaucoup de professions (et cela ne passe pas forcément par le salaire), le local. Du concret en vraies propositions, tu le trouveras par exemple dans le Manifeste d’Après, le réseau genevois de l’économie solidaire et sociale.
Après, c’est maintenant. C’est ici, Chère, Cher Aujourd’hui. Une partie de la population espère de toutes ses forces, de tout son coeur, debout devant toi et du bout de sa craie qui dessine des carrés par terre, un changement, un monde plus juste, un monde humain, solidaire, local et durable.