Par Anouk Dunant Gonzenbach
Dans la boîte aux lettres, un flyer. Quelques jours plus tard, une lettre de trois pages. De La Poste, ces deux envois. Pour annoncer l’inauguration prochaine de la nouvelle filiale des Charmilles.
Elle n’est pas très nouvelle, cette filiale, puisqu’il s’agit en réalité d’un déménagement. La Poste des Charmilles, qui fut d’un côté de la place, puis de l’autre, mais dans un bâtiment exprès pour elle, est installée désormais dans le centre commercial de Planète-Charmilles. Histoire de bien rassembler sous les néons sans âme un bout du géant jaune avec le reste, des échoppes que je préférais largement fréquenter le long de la rue sous les humeurs changeantes du ciel.
Tous ces courriers m’expliquent que je vais largement y gagner au change, parce qu’il y aura un nouvel Automate My Post 24 dans le dispositif. Grâce à cette évolution, «certaines prestations postales seront accessibles de jour comme de nuit». Comme je rêvais de retirer des paquets à deux heures du matin, je serai une femme comblée. Bien sûr, il faudra scanner un QR code imprimé (en installant l’application Post-App mais ceci est une autre histoire). La prose postale m’explique bien qu’il s’agit d’un service «très prisé et apprécié».
C’est un peu comme les fraises en hiver de l’autre géant, le orange, celui qui est à l’étage du dessous. Le jour où je lui ai demandé la pertinence de les vendre en février, il m’a répondu que c’était une demande des clients, et que celles en provenance du Portugal étaient très goûteuses à cette saison. Très performants en matière de création de demandes des clients, les géants.
Si je comprends bien, les horaires d’ouverture des guichets de cette filiale postale du quartier sont réduits au fil du temps (à part le samedi après-midi qui devient ouvert, je le reconnais de bonne foi), mais des automates les remplacent. Dans chaque quartier, moins de personnes derrière les guichets (ou les caisses des supermarchés d’ailleurs), mais plus de robots. Pour autant que ça marche, car « si tous les compartiments de l’Automate My Post 24 sont déjà utilisés, vous devrez retirer votre envoi au guichet » (guichet dont l’horaire sera réduit). Un peu comme l’automate pour rendre ses livres H24 à la bibliothèque de la Cité, en panne depuis plusieurs mois.
Je ne prise ni n’apprécie de m’adresser à un automate. J’aime le contact, même bref, avec la postière (rappelons que Saint-Jean, irréductible, avait sauvé sa poste, hommage à ces héro.ïne.s) le facteur, la fleuriste, les boulangères. Evidemment, il y a celles qui travaillent tôt, ceux qui rentrent tard. Il devrait être possible d’élargir les horaires des guichets (même pas de les élargir, en fait, de les remettre à une version d’il y a quelques années) en engageant des vraies personnes.
Si l’humain arrive à créer des montages financiers qui rendent impossible tout traçage à travers des dédales de sociétés-écrans dans des multitudes de paradis fiscaux, il doit bien être capable d’inventer un système économiquement viable pour que les géants continuent à offrir du travail à des vraies personnes à qui l’on peut dire de vrais bonjour-aurevoir.
Je suis pour les framboises en été, les paquets distribués derrière cette vitre qui monte et qui descend (des paquets contenant des cadeaux faits à la main, pas des actions Amazon), l’avis de ma pharmacienne, les nouvelles du chien de notre caissière, les conseils des bibliothécaires, les boîtes à échange, le travail pas noir, les cafés suspendus, les tulipes dans la rue, les bons gros géants humains, locaux et durables.
Photo: Google, capturé sur 20min.ch
Paru dans La Tribune de Genève, Lettre du jour, 12 janvier 2021