Par Anouk Dunant Gonzenbach
Le spectacle «Dire la ville». Jeudi dernier à l’Alhambra, la Fanfare du Loup, le Théâtre Spirale et le Chœur ouvert ont dit la ville. Dit, chanté, dansé même, et pour les citer, tout cela dans un «grand charivari intergénérationnel et impertinent». Les jeunes ont murmuré, crié, articulé, donné leurs mots, cela aurait pu être un peu déprimant, cela a été joyeux. Joyeux, avec leurs sourires en forme d’ancrage et d’espérance. Une formidable énergie issue d’un formidable projet.
Joyeux, sauf la fin. Reprenons au début. L’entrée sur scène des artistes se fait depuis le fond de la salle, en un cortège musical décoré par d’immenses lampions blancs, de la poésie à l’état pur. Ces lampions, ce sont les élèves des classes d’orientation professionnelle 219 et 220 qui les ont réalisées. Dire la ville a intégré dans ce projet un travail artistique et d’écriture avec ces classes. Il en résulte un très bel objet, une petite publication qui contient des textes écrits par ces élèves. Des récits de migration.
Joyeux, sauf la fin. Parmi ces élèves, Ali. Ali, jeune requérant migrant, a mis fin à ses jours en décembre dernier. Comme plusieurs avant lui. Genève n’a pas réussi à faire attention à sa détresse. Au bout de deux ans de ce qui aurait pu être la construction d’un avenir, nous l’avons enterré avec ses rêves. Dire la ville lui est dédié, une chanson lui est adressée. Le théâtre entier le pleure, à la fin. Il reste ses mots, inscrits dans la petite publication. «En Afghanistan j’étais berger. Je voulais aller à l’école. En Afghanistan, il n’y a pas d’école. Je suis parti quand j’avais douze ans. […]. Ma mère était très triste. Mais je lui ai dit au téléphone: c’est comme ça.»
Genève a les moyens de prendre mieux soin de ces enfants venant de si loin au prix de tant de dangers. Traumatismes. Genève pourrait faire autrement que refuser des permis de travail à des jeunes qui sont désespérément en attente d’une réponse à leur demande d’asile. Ali et les autres perdent leur sourire, choisissent les étoiles. Je ne peux pas me résigner à dire «c’est comme ça». Genève ne peut pas être comme ça.
Paru dans La Tribune de Genève, La lettre du jour, 12 mars 2024.
Image: Riccardo Willig, Tribune de Genève.