Par Anouk Dunant Gonzenbach
Il y a Léonore qui venait chercher son poulet grillé le samedi matin
Ma mère le lundi, la salade de carottes pour ses petits-enfants
Jules à qui il avait recommandé les brochettes, Jules en prenait depuis chaque fois
Le gratin qui a tant dépanné nos midis
Le petit mot pour les enfants (c’est à eux qu’il rendait la monnaie)
Il y a un quartier entier qui aimait y entrer
Chez notre boucher du Beulet
Un apprivoisement, petit à petit
Les yeux, ce bleu clair malicieux
Non, c’est trop cher, prenez plutôt ce morceau-l
Et parfois un café à côté
La chance de recevoir quelques souvenirs d’autrefois, les Grisons
De notre boucher du Beulet
Il y a un savoir-faire qui nous épatait
parce que ça se perd, le savoir-faire
Produits de qualité, les conseils avec
– quand on emménage, on ne sait pas tout-
Ah, les feuilletés à la viande, comment on va faire sans
Comment on va faire sans
Notre boucher du Beulet
Devant la vitrine, laisser son vélo décadenassé
Echanger de l’humour, acheter les steaks hâchés
A samedi, belle soirée, vite rentrer
C’est trop bien d’avoir un boucher à côté
Pas n’importe qui
Notre boucher du Beulet
Un lieu où l’on cause
On se croise on se donne des nouvelles
On se raconte la rue, l’école, enfin tout quoi
Il y a toujours quelqu’un, une voisine
Deux habitants, trois mamans, plusieurs langues
Chez notre boucher du Beulet
Et maintenant il nous laisse
La vitrine est éteinte
Une histoire écrite
Le vide est immense
Un trou dans le quartier
Qui dit son désarroi, sa reconnaissance,
Qui se souviendra
De notre boucher du Beulet
16 octobre 2023
Paru dans Quartier-Libre n. 130, printemps-été 2024.