Les cosmos ont séché sur pied Devant la maison, Je suis triste. Il faut dire que je ne les arrose plus, Parce que utiliser de l’eau pour arroser, en ce moment, Je n’y arrive pas, L’eau potable si précieuse. Les cultures ont brûlé Les vignes hachées Les cosmos secs et bruns pendouillent Et je suis triste. Les ados, autour, sont inquiets, Ils font tout ce qu’ils peuvent Mais ça ne change pas grand-chose, Et ça me rend triste, tellement triste, Et les glaciers fondent.
Depuis la nuit des temps, Depuis que le monde est monde, Ce n’est pas drôle, on est d’accord, Mais là on pourrait tellement.
Alors je vais replanter des cosmos Et les arroser A l’eau de pluie récupérée A l’eau du robinet, tant pis, Non, quand-même pas Et je vais regarder le quartier Les roses trémières Les toits végétalisés Tout ce qui est en train de pousser Tout ce qui est en train de se passer Dans le quartier
Et comme depuis la nuit des temps Et comme depuis que le monde est monde, Fortes et fières Les bras qui restent levés Imaginer, planter, dégrapper Parce qu’on prend les choses en main A l’échelle du quartier.
17 juillet 2022
Paru dans Quartier libre 127 – automne-hiver 2022-2023
Il y a des choses immuables. La tarte aux pruneaux du Jeûne genevois en fait partie, couper chaque moitié du fruit en deux avec trois générations au-dessus de la table de la cuisine. C’est ce qui reste de cette pratique qui vient de l’antiquité, jeûner pour des raisons médicales ou spirituelles, puis de la tradition biblique, jeûner en cas de guerre, de cataclysme naturel, de maladie, de deuil, par solidarité avec des répressions qui ont lieu ailleurs ou en cas d’épidémie. Peut-être qu’on devrait réellement jeûner, en fait. A défaut, on se raccroche aux pruneaux (je me répète, coupés en quatre), on profite de la chance qu’on a et on garde ces moments précieusement.
Il y des choses que l’on croyait immuables, mais à notre grande stupeur, non. Les pruneaux ont mûri trop tôt et, selon la Tribune du jour, Genève perd ses pruniers. Climat, économie. Mais bon, ce petit billet se destine plutôt à regarder très loin en arrière. En s’inspirant largement des textes cités en référence.
Tout d’abord, qu’est-ce qu’un jeûne ? Depuis l’Antiquité, le jeûne est pratiqué pour des raisons médicales ou spirituelles. Dans la tradition biblique, le jeûne est présent dès l’Ancien Testament. On jeûne en cas de guerre, de cataclysmes naturels, de maladies et épidémies et de deuil.
Et en Suisse ? En Suisse, on jeûne depuis le 15e siècle. La Diète (assemblée des députés issus des cantons) organisait des journées de pénitence et d’actions de grâces en cas d’événement grave comme la peste, la guerre ou la famine, mais les cantons décidaient des modalités et de la forme de ces jeûnes.
Le jeûne à Genève Le premier jeûne dont on trouve une trace dans les archives est célébré en octobre 1567 à l’occasion d’une répression contre les protestants de Lyon. Le procès-verbal de la Compagnie des pasteurs du 5 octobre 1567 indique qu’il est «signifié le jeusne public, et toute l’Eglise exhortee a prieres extraordinaires et repentance.»
Il y eut certainement des jeûnes antérieurs qui ont eu lieu dès les premiers temps de la Réforme, mais ils ne sont pas documentés. D’autres jeûnes sont proclamés par la suite, par exemple en signe de solidarité avec le massacre de la Saint-Barthélémy en 1572 ou lors des guerres contre la Savoie en 1589. Dès 1640, comme dans l’ensemble des cantons suisses réformés, le jeûne devient quasi annuel. Il s’agit d’un acte moral et religieux, un signe d’affliction et d’humilité face aux malheurs du monde.
Lorsque Genève est annexée à la France entre 1798 et 1813, le jeûne devient une fête patriotique et permet de marquer tant l’identité protestante que genevoise. Cette couleur patriotique du jeûne est maintenue à Genève, qui décidément ne fait jamais rien comme les autres et qui instaure un jeûne genevois à une autre date que celle du Jeûne fédéral institué en 1832 par l’ensemble des cantons suisses chaque troisième dimanche de septembre.
En effet, les protestants genevois ne sont pas d’accord avec cette décision fédérale œcuménique et en 1837, quelques pasteurs annoncent le rétablissement du Jeûne genevois le jeudi – seul jour de la semaine sans marché- qui suit le premier dimanche de septembre. Ces pasteurs célèbrent trois cultes à la Madeleine, à Saint-Gervais et à Saint-Pierre, puis sont censurés et l’un est même suspendu de prédication pour six mois.
Pour finir, en 1840, Genève instaure officiellement son propre Jeûne, accompagné d’un jour férié jusqu’en 1869. A partir de cette date, il devient moins institutionnel et commence à perdre sa signification religieuse.
Le 8 janvier 1966, le Grand Conseil modifie une loi et déclare férié le jour du Jeûne genevois à la place du 1er mai. Ainsi, Genève garde son jeûne genevois le jeudi suivant le premier dimanche de septembre.
La tarte aux pruneaux Comme l’écrit Claude Bonard, «telle est donc l’origine des jeûnes qui consistent à « offrir sa faim au profit d’une cause. Mais l’estomac ayant tout de même ses exigences, il fallait tout de même prendre quelques forces. » Et c’est là qu’intervient la désormais traditionnelle tarte aux pruneaux. Cuisinée la veille, elle permettait aux femmes et aux domestiques de participer au culte du jour (culte qui au 18e siècle commençait tôt le matin pour se terminer à quinze heures). Au départ, c’était la seule collation de la journée, puis de fil en aiguille elle est devenue le dessert d’un bon repas dont chaque famille a sa propre recette.
Une bonne tampougne au Salève En triant il y a quelques années la bibliothèque de ma grand-mère, je suis tombée sur Le Livre de Blaise écrit par Philippe Monnier en 1904. Un livre que je détestais, car quelque part il y est écrit que «les filles, ça pleure tout le temps», phrase que nous répétait régulièrement ladite grand-mère pour nous reprocher la moindre larme qui menaçait de couler. Avant de le jeter par la fenêtre, je l’ai quand-même feuilleté et je me suis réconciliée avec ce texte et cette écriture genevoise savoureuse, au point de rire de bon coeur avec son protagoniste, le petit Cuendet, qui s’y exclame: « Le Jeûne, c’est un jour où on se paie une bonne tampougne au Salève » !
Extrait du procès-verbal de la séance de la Compagnie des pasteurs du vendredi 5 octobre 1567: « Au commencement d’octobre vindrent nouvelles de la prinse de Lion et des troubles de France recommenceant. Pourtant fust signifié le jeusne public, et toute l’Eglise exhortee a prieres extraordinaires et repentance. »