Au début du printemps, nous avons lancé l’appel à texte ci-dessous. Des autrices et auteurs ont répondu et proposent ainsi des textes sur le thème « le quotidien, ici et là ». Certaines personnes nous ont aussi envoyé des poèmes choisis dans des recueils aimés, que nous avons également semés.
Réaliser un jardin de poèmes à planter près de chez soi. Les textes, écrits pour l’occasion ainsi que cueillis dans des recueils, seront imprimés un à un et fixés chacun sur un fin piquet (le piquet pour la tige, le poème pour la fleur). L’ensemble sera planté dans un coin de terre dans le quartier de Saint-Jean. Ce « kit » pourra être reproduit en plusieurs exemplaires pour être planté aux endroits de la ville qui nous/vous viendront à l’esprit.
A l’invitation de la librairie C. Pages, les poèmes sont arrivés en vitrine en vélo-cargo le mercredi 14 juin, pour une dizaine de jours. Ils accompagneront le vernissage du livre Des carrés à la craie, par Anouk Dunant Gonzenbach, éditions Ouverture, qui aura lieu le vendredi 16 juin à 18h en présence de Maurice Gardiol, éditeur et de Lisa Mazzone, préfacière.
Lecture des poèmes de jardin au Codebar par Claude Thébert en présence de plusieurs poètes le mercredi 28 juin à 17h30
Vince Fasciani et le Codebar reçoivent les poèmes de jardin et invitent à une lecture au Codebar, 10 rue Elisabeth-Baulacre à Genève. Un immense merci à Carrefour-Rue&Coulou ainsi que Natacha d’avoir organisé ce très beau moment.
Ecoutez sur Radio Sans Chaîne (cliquer ici) l’émission réalisée par la fantastique Jeylie lors de ce riche événement! Elle dialogue avec Claude Thébert, Françoise Favre Prinet et Anouk Dunant Gonzenbach.
Photos au Codebar: Riccardo Willig
Les poèmes de jardin dans le jardin du temple du Petit-Saconnex, 11 juin 2023
Le 11 juin, les poèmes ont été installés dans le jardin du temple, en pleine vue des passants qui passent.
Le dimanche 2 juillet a eu lieu un « culte autrement » laïque à travers un dialogue vif entre la parole des poètes d’aujourd’hui et la parole millénaire et neuve des psaumes, avec Olga Grigorieva au piano.
Un jour, faire les commissions à la Coop du coin, même arriver jusqu’à la Coop du coin pour faire tes commissions te parait un exploit plus extraordinaire que de monter l’Everest par la face nord sans assistance et sans oxygène. Ce jour-là, tu es maman pour la première fois et tu sors pour la première fois toute seule avec ton bébé de six jours dans la poussette. Tu as franchi l’Everest.
Tu comprends petit à petit le bonheur d’habiter un quartier qui est un village, tu vas chez le boucher, au marché (en ce temps-là il existe encore), chez Tina, tu vois du monde, le monde admire ton bébé, les gens sont tous formidables, tu parcoures le Beulet dans tous les sens, tu passes du temps à la pharmacie, tu aimes les pharmaciennes, le boucher, Heinz et Danielle du marché, tu aimes les gens. C’est juillet, tu t’enhardis, tu te poses sur le rebord des voies couvertes, tu pousses doucement la poussette en avant et en arrière, tu regardes ton bébé dormir. Tu as de la chance, les smartphones n’existent juste pas encore, tu passeras tout ton congé à regarder le visage de ton petit bébé.
Tu ne sais pas encore que plus tard, il te demandera comment fait le robot pour se gratter les jambes quand ses boutons le démangent car il a les bras trop courts.
Tu explores un peu plus loin, tu découvres le parc des roses, certains l’appellent le parc des chats, la vue sur la Bâtie, le Rhône qui n’en a que faire. Tu prends l’habitude d’allaiter au parc des roses. C’est si paisible. Tu manges un flanc au caramel au parc des roses, tu échanges des sourires avec les promeneuses, tu es protégée par l’ombre d’Ermenonville, par toutes les femmes plus âgées qui passent, par l’été de Saint-Jean. Tes yeux ne quittent pas ton bébé.
Tu ne sais pas encore que plus tard, il te demandera comment c’est les poumons à l’intérieur d’un serpent.
Tu le portes dans l’écharpe, tu déambules au Promeneur solitaire, des tas d’enfants jouent dans la pataugeoire, dans les cabanes, au toboggan, tu entends les cris des enfants, tu écoutes ce bruit du monde, un des seuls qui vaille la peine, mais c’est encore trop tôt pour tout cela, tu remontes au parc des roses, tu allaites ton tout-petit.
Tu ne sais pas encore que plus tard, il te demandera si l’infini de un est plus petit que l’infini de deux.
Aujourd’hui, bien plus tard, entre ordres du jour et rendez-vous à prendre, entre rapports administratifs et sparadraps, entre deux coups de pédale, aujourd’hui que tu es devenue une tisserande du quotidien, tu aimerais bien prendre des morceaux de temps et les déplacer, revenir sur le banc du parc des roses, n’avoir rien à faire que de regarder cette vue et te consacrer entièrement à ce bébé. Tu as l’impression que tu as allaité le temps d’un point-virgule. Et dans ton cœur, tu remercies le parc des roses.
* Paru dans Quartier Libre n. 128, printemps-été 2023
Des autrices et auteurs proposent ainsi des textes sur le thème « le quotidien, ici et là ». Certaines personnes nous ont aussi envoyé des poèmes choisis dans des recueils aimés, que nous avons également semés. Un projet de virusolidaire.ch et du Théâtre du sentier .
Poèmes de jardin:
* je regarde autour de moi pour m’assurer que les amoureux avancent à leur rythme la vie est calme et le ciel dégagé maussade et silencieux je cherche un abri pour me protéger des coups durs je quitte la nuit pour pénétrer dans le jour je me lève en ce beau matin si ce n’est là ailleurs nulle part de la joie on en trouve partout c’est commun et bon marché je ne suis pas en position de faire le difficile de la joie pour tous de quoi réparer des siècles de tristesse Vince Fasciani
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Fragilité vibrante Ma petitesse dans l’Univers Oisillon insatiable prêt à jaillir vers monts et merveilles Gabriella Baggiolini
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Fissure Situé entre la table et le plan de travail, il y a dans la cuisine un carreau fissuré depuis 15 ans. Fendu sur toute sa diagonale, il a vu au fil des ans s’éloigner, centimètre après l’autre, le visage des enfants. Témoin des repas à géométrie variable, il a tout entendu : rires, engueulades, échanges musclés de points de vue, chagrins et mots qui consolent. Quand l’appartement était neuf sa fissure semblait signifier, avec un peu d’avance, l’impermanence des choses. La zébrure a un peu noirci en son centre mais dans son imperfection, elle n’a que peu changé. Patinée depuis son origine par les mêmes cinq paires de pieds, la fracture du carrelage saumonée pourrait raconter < les fêlures que le chagrin a imprimé dans la famille. Caressée par les glissades des cuisiniers en plein coup de feu, ce sont les larmes de nos fous rires qu’elle pourrait aussi partager. Sylvie Fischer
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Je voudrais être une victime Pour oser crier enfin Avant de devenir La folie des autres
Dans le deuil du silence renouvelé chaque jour La nature me dit ne pouvoir lutter Contre ma nature ni choisir Mon destin contre le hasard
Ici les châteaux hantent leurs fantômes Et les moindres de nos paroles Sur le miroir de la raison Me rappellent que la liberté Est une provocation Philippe Constantin
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Ici et là saisonnier Ici le Printemps, Avant-goût de fruits Le jour, enfin, rendu Plus fort que la nuit Ici l’été, Entre rayons de cancer Et chaleur pour l’hiver Jouer à ombre et lumière Là l’automne, Feuilles posées sur la brume Noces de sang, noces de vin Un avant-goût d’amertume Là l’hiver, Sur l’étang, la myrrhe alunit Air de Purcell, rien à faire Saison de la paresse impunie L’hiver encore, Dévisager, creuser son mystère Qu’elle-même peut-être ignore Pierre Jaquier
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Primevères Primevères, primevères C’est la fin de l’hiver, Vous êtes là, discrètes, Émaillant de lumière la prairie à peine verte. Primevères… «prime-jaunes, Maman !» Disait notre cadette du haut de ses trois ans ! Logique, merci Chérie, tu voudrais un bouquet ? La tige est courte, et ne tiendrait Dans aucun vase. Elle veut sa terre Et ne se plait qu’en pot, la brave primevère. Alors tu prends la motte Délicatement l’empote. Arrose-la souvent, et son jaune permanent Égayera longtemps ton p’tit appartement ! Enfin, à Pâques, de belles éclosions Célèbrent le printemps et la Résurrection. Tu reposes ta plante, heureuse, en pleine terre : Des morceaux de soleil dans la fraicheur de l’air ! Monique Dunant
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Elle, au jour le jour. Elle a saisi son violoncelle, face à la fenêtre ouverte sur les lilas de la nuit, elle joue, sa joue pressée sur la volute d’érable, l’archet pulsant la voûte d’étoiles.
Au seuil de l’aujourd’hui et du lointain, elle sauve le vent pleurant que tous maudissent, le blottit entre son pull et sa peau, le porte à son souffle, l’emmène dans la rivière de ses cheveux. Elle sort par le jardin, suspend à une branche la lanterne jetée à terre, d’un pas léger prend la rue des lierres, délace les ombres de l’emprise jalouse du quotidien. Derrière les clôtures, elle entend les liserons se faire la belle, aux milles miroirs des gouttes de pluie, elle boit le soleil, l’osier du panier sur la hanche, elle se rend au marché. Entre ses paumes elle roule l’ambre des oranges, l’or des citrons, les paroles des passants, les pleurs des enfants, les roule entre ses paumes, nues et claires, les roule, les enveloppe de lumière. L’abondance la chavire. Elle boit un café, laisse deux pièces de monnaie, au revers du ticket, écrit un poème pour qui elle ne connaît… La serveuse sourit, elle sait… Au jour le jour, elle donne à la réalité une autre réalité, elle intervertit le temps et la présence, elle écarte la vie agitée… Elle s’inquiète de la lumière, frémit pour elle, la désenlise, la désaltère, la dépoussière, la libère, la tire de la noyade, du vide où elle s’est agrippée. Pas un conte de nourrice !… Un manifeste d’étincelles, une folie, une passion, une timidité sublimée, une lumière à affranchir, à relever, à embrasser, une lumière où respirer. Au jour le jour, elle éclaire ce qu’elle aime. Françoise Favre-Prinet
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Le quotidien, ici et là Il n’y a ni futur, ni passé dans la vie Il n’y a que du présent qu’une hémorragie éternelle de présent L’attente de Dieu, c’est déjà Dieu tout entier… Christian Bobin in La part manquante, chap. 3
A présent, toujours là Dans le bruissement des jours et des pas Même lorsque je me sens las Une main tendue me hissera Un sourire-tendresse m’ouvrira
Au quotidien, toujours présent Entre l’alpha et l’omega de chaque instant Voguer tel un veilleur itinérant Attentif au surgissement de l’A-venir en ce temps Comme un appel à demeurer résistant Maurice Gardiol
* En terre Quand cela a-t-il commencé et comment tout cela a-t-il fini ?
Ta langue autel à poussières découvre l’herbe printanière ton doigt mesure le cadre d’allumettes l’ampoule dévissée du soleil en terre
Étranges lumières sous tes paupières de la fin à l’enfance estime ta chance d’avoir été ne crains plus de brûler de retourner au rien ossuaire
Devant les taupes sous les souris et les cerfs plus de pénombre ou de peurs te voilà vu de la lumière libéré du temps du moi de l’être
Tout ce qui ne fut pas compris pas pleuré pas hâché est devenu prière rivière
Des racines font battre ton cœur les fougères bercent tes artères ton sang devenu rosée
Rien ne meurt rien ne dure tout fleurit et se fâne se greffe et s’engraine en terre Sylvain Thévoz
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L’odeur d’un matin de fin de printemps rosée gorgée d’herbe parfum de la couleur des jeunes fleurs de la chaussée qui se réveille Mais pourquoi
l’odeur d’un matin de fin de printemps ne dure-t-elle pas toute la journée ? Anouk Dunant Gonzenbach
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Les rapaces La buse plane Le gypaète plane Le faucon plane Le milan plane Mais qu’est-ce qu’ils prennent tous ? Jean-Luc Fornelli
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Vida de Sísif Llevar-se, treballar, menjar i fer que en mengin d’altres, tenir problemes i resoldre’ls, o potser no; tirar endavant fins caure al llit, esgotada. Mirada així no té sentit, aquesta vida de Sísif, però hi ha coses que no he dit: la fresca del matí, les mirades d’entesa, el gust per fer el que cal, la bellesa i que a Sísif, la pedra, sovint li sembla lleugera. Alba Tomàs Albina
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La flor de amarilis La flor más bella agota el bulbo. El blanco impoluto sale del marrón. Los pistilos se abren, amarillos, puros, y luego se repliegan como un trombón. El rosa delicado de las flores grandes despliega un enigma de orgullo invernal. El bulbo se encoge, mengua, se recoge, huecas capas secas caen hasta el final. Dar la vida como un bulbo de amarilis que de la flaqueza engendra un nuevo tronco con su lanza verde, henchida, una promesa, la llama infinita que se abrirá al sol. Ana Mata Buil
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(bribes) on raconte l’histoire d’un jardin magnifique un jardin d’où l’homme a été chassé par la connaissance on raconte cette histoire comme si elle avait déjà eu lieu pourtant c’est une mise en garde et le jardin n’a jamais été imaginaire Alexandre Correa Après l’Europe, éd. Torticolis et frères, 2021.
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Ici pain quotidien là peine quotidienne marcher de l’une à l’autre marcher danser courir et parfois s’arrêter entre la glycine de mai la main tendue de Michaël près du petit mur la poste où déposer un colis de 5 idioms 5 dunnas avant de jeter dans la benne le verre qui se brise dans un éclat de rire
mais là-bas, près du Rhône comment éviter la plaque où le nom de Bartolomé Tecia n’en finit pas de crier ?
poème quotidien j’écris je ris je crie Denise Mützenberg 2 mai 2023
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Les fenêtres Derrière des fenêtres closes d’immeuble en immeuble £des regards se croisent s’évitent ou s’épient en silence profitant des courants qui s’engouffrent dans la cour des oiseaux jaillissent virevoltent et dansent ivres de joie leurs chants résonnent contre les murs de béton subjugués par ces cascades de notes les voisins ouvrent leurs fenêtres et leurs cœurs. Philippe Bonvin
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« C’est un loup. Ou bien autre chose. Ou pas. Peut-être. » Pisteurs amérindiens du Grand Nord, les Gwich’in, cité par Nastassja Martin
Recouvrer l’humus
Nous étions faits, peut-être, pour autre chose, tu sais.
Nourris de vains soupirs de la tenaille aigre des désirs défaits du maillage des impératifs qui – inextricablement – se resserrent Cadenassés malgré nous dans un horizon de pétrole, de bitume et d’acier Nous entendons à peine à présent le cri silencieux qui s’échappe des oiseaux celui des fleurs qui meurent du glacier qui expire.
Dans l’incertitude de nos traces Qui lira l’horizon de ce qu’il nous reste à vivre À humer À brasser Entre terre et mer forêts et vallons Combien de cailloux encore à avaler pour que l’amertume de ne pas être ce que nous sommes cesse ?
Quelle part de sauvage demeure en nous ? Et sous quelle honte, paraissant si précieuse, l’avons-nous enfouie ? […] lire la suite dans la Revue Pourtant Marc Desplos
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Vol d’oiseaux Un battement Surgit de derrière Un groupe d’oiseaux Ailes déployées Silhouettes blanches noires grises Se découpent sur le Salève Les arbres les nuages En contraste Le groupe tourne Autour d’un sapin Revient Repart… Son souffle À son passage Son silence Quand il s’éloigne Battements d’ailes en rythme En des formes diverses Tourne autour d’un sapin S’élance au loin Tourne autour du sapin Repart revient Piqués croisés planés Chorégraphie Comment font-ils pour ne pas se heurter ? Trois oiseaux s’envolent au loin L’un d’eux revient Franchit l’essaim Se retrouve seul Les deux autres Exécutent une danse solitaire L’essaim revient Tourne Revient encore Souffle et silence Cœur immense Silhouettes mobiles Sur fond violet vert gris blanc Souffle et silence Chorégraphie du temps Retenu dans les ailes… Huguette Junod
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Météo à deux voix
Germinales Le terreau du sommeil est encore tiède. Dans cet espace naturel hors-sol, à l’instant de l’éveil, je scrute la levée des mots. Je les admire sans bouger, la joue enfouie dans l’oreiller. Je me faufile à travers leur toison printanière. Ils sont fermes et fins comme une poussée de cresson dans laquelle les doigts esquissent des caresses et agitent des frissons. AB
Pneuma J’inspire le souffle de vie. Je glane de nouveaux mots. Une période de maladie m’oblige à ralentir, ressentir, faire lien avec mes proches plus malades que moi. Je joue aux mots fléchés et m’émerveille. Des mots fléchettes qui soulagent les maux. Je vagis au jour qui pointe. Nouvelles perspectives. J’aspire à des gemmes résines de j’aime coulant de cœurs en mains, aux cueillettes de chervis charnus roboratifs pour l’âme. Toréer avec les ombres et transcender le champ de bataille du monde. Les fleurs repoussent après les bombes. CC
Pousse Je me compare à une graine éveillée dans sa gangue. Embryon vivant dans un espace encore fermé qui déjà se dilate. Je sens l’appel de vivre au-delà des enveloppes. Les mains dans l’humus, j’éprouve l’énergie de m’expandre. J’ai l’intuition d’être cette plante unique, terrestre et cosmique : une éveilleuse de confiance. AB
Saisonnales Pluie fine. Je chemine vers le bois. Un bain de verts tendres m’attend. Le printemps se répand. Tandis que le Rhône s’écoule, les mélodies entremêlées des oiseaux me magnétisent. Au milieu du chemin de ma vie, la légèreté aérienne de l’oiseau me fascine. Envol arabesque. Les chardonnerets élégants m’honorent de leur passage. Leur parure bariolée est baume. Je photographie tout et archive sans caméra. CC Anne Bernasconi & Cynthia Cochet Écrits en avril 2023, ces quatre textes sont l’amorce d’une correspondance poétique entre les deux femmes. Anne Bernasconi (Evilard BE) & Cynthia Cochet (Genève)
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Les mauvaises herbes Dans le jardin au printemps Les mauvaises herbes Occupent mon temps Je les veux loin Pour retrouver Le beau gravier Et l’harmonie D’allées fleuries Pénélope détissant Patiemment De la terre le tapis Je m’étonne souvent D’aimer ces petites plantes Parfois ornées de fleurs Minuscules et parfaites Les feuilles sont variées Rondes, ovales, allongées Ou en épi de blé Les racines surprenantes L’une se donne sans résistance Pour l’autre il y faut le couteau Une troisième s’est développée En tentacules éparpillées Une sournoise se fait presque oublier Sous la forme rampante d’une mousse grisée Elles sont rigides ou bien coquettes Elles sont têtues ou bien dociles Mais les cueillant Les triturant Les arrachant Posées en amoncellement Je pense toujours A cet ami qui un jour me dît Les mauvaises herbes Ce sont des herbes Dont on n’a pas encore trouvé Le sens de leur utilité Brigitte Frank
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Le quotidien ici et là Voici bien là un mot qui m’effraie autant que je l’admire : le quotidien.
Ici, il m’est à l’esprit foyer du réconfort, de tendresse et d’une sorte de sainteté relationnelle que je ne sais nourrir, du moins pour le moment.
Car il me semble avoir le temps. Le temps de repousser ce quotidien merveilleusement espéré qui, pour l’heure, sonne à mon oreille tel le glas d’une éternelle monotonie. Une condamnation à perpétuité à une routine dont je voudrais être certain qu’elle me comblera corps et âme avant de m’y abandonner et que jamais elle ne me conduira à la solitude.
Alors, je brûle la chandelle par les deux bouts, juste pour voir si l’un des côtés ne se consumerait pas mieux que l’autre, si la flamme n’y serait pas plus douce, plus droite, plus réconfortante. Et lorsque je me détermine, il ne reste plus rien qu’une petite flaque de cire solidifiée sur le coin de ma table. Alors, je m’étourdis dans une quête de sens qui, de guerre lasse, abandonne bien souvent sa vertu au seul plaisir de la sensation, pourvu qu’elle soit forte. Alors, je m’enivre de vin en quête d’une vérité qu’il me semble parfois toucher du doigt dans l’épaisseur de la nuit avant qu’elle ne disparaisse dans la brume du petit matin. Je cherche à n’en plus pouvoir. À n’en plus savoir vraiment ce que cherche au juste.
Mais le temps passe, lui qui me fut allié. Le temps passe dans une inlassable cadence dont ma perception le fait s’accélérer à la mesure de mon essoufflement.
Le temps : voici bien là un mot que j’admire autant que je le crains. A. N. Schall
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sa résidence c’est le plein air il connaît tous les bancs de la vieille ville leur bois humide l’inconfort du métal
il leur a donné un nom port de plaisance rude hiver série noire
il ne demande pas la lune Philippe Rebetez (leporello Samizdat, 2023, ce qu’on voit nous regarde)
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Poème en bouton au tablier du printemps Poème en bouton au tablier du printemps ! Mais le sécateur, à la main du jardinier, par erreur grossière, Le prend pour une artificielle primevère N’offrant plus à la boutonnière Qu’une pauvre vie d’orpheline Et à la joue jardinière, une issue sanguine.
Voilà que le bouton tombe et fond dans la terre Et puis forme des stolons et la poésie germe ; L’araignée file et tisse le tablier le plus ferme ; Ainsi reprend goût à la vie – et ses esprits – l’épiderme. Le sécateur, mis au coin, à sa radicalité rumine Tandis que poètes et jardiniers dansent la biguine Aux sons des folles éclosions de l’incroyable jardin de St-Jean Dominique Vallée
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L’ordre des campagnes La grange trésor d’ombre ancienne, Le coq, les orties montent la garde. Mais approche sans crier gare De ce char, de ces roues, de ces pailles, Et disparais dans l’odeur des menthes. ~ La fontaine, les linges flottants, Les lavandières ensoleillées, Midi moins une au bord des giroflées,£ Le pois s’étire dans ses rames. Bois et pierre, ardoise et poussière, Bonnes gens, mauvaises gens, Bon soleil ou mauvais vent, Beaux blés et folles herbes,£ Midi moins une on ferme le temps. ~ Le coq, le tabac, la moto-pompe, Le poudroiement de lumière, Le coq, l’affiche déchirée. La lessive sur le pré Atteste l’ordre des campagnes. ~ Fil des fontaines dans la nuit du village ; Un peuple de ruisseaux, de canaux et d’eaux vives Chante par souvenir pendant que vous dormez Les mains de vos morts qui l’apprivoisèrent. ~ Pré noir jonché de pommes d’or Quel arbre à la face t’a jeté ses fruits ? Georges-Emmanuel Clancier, Terres de mémoire Poème semé par Nicolas Künzler
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l’appel inconnu d’un oiseau me poursuit à travers la forêt il voudrait savoir qui je suis pourquoi me questionnes-tu juste maintenant juste ici précisément je ne sais pas répondre une seule chose je suis Tina Planta-Vital, stizis as cruschan (Traces qui se croisent), traduit du romanche par Denise Mützenberg, Editions Les Troglodytes. Poème semé par Claude Thébert
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suldüm prüvada saint vastezza ils ögls inaint muntognas uondagian l’aual penda calm tras il god et tanter la spelma d’üna metropola a la glüm dal disun paesagi sulvadi ~ solitude intime je sens l’immensité les yeux à l’intérieur les montagnes ondoient le ruisseau pend paisible à travers la forêt et entre les rochers d’une métropole en plein jour je suis un paysage sauvage Flurina Badel, sert fomantà (jardin affamé), traduit du romanche vallader par Denise Mützenberg, Editions Les Troglodytes. Poème semé par Claude Thébert
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Murmure de jonquilles par la fenêtre entrouverte le soleil s’invite en toute simplicité Francine Carrillo, Le Sable de l’instant, Editions Ouvertures. Poème semé par Claude Thébert
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Ma vieillesse me parle Mes jambes avancent vers la terre Je ne trébuche pas Lentement je fais le tour du lac Une truite grise me dévisage Elle sait que mon apprentissage Émeut mon âme À mon tour, je deviens une aînée J’attends ta visite pour te raconter Une histoire qui demeure Dans les mémoires Joséphine Bacon, Un thé dans la tundra, Nipishapui nete mushuat, en français et en innu-aimun par l’auteure, Editions Mémoire d’encrier. Poème semé par Manon Hotte
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Ord i bok – de kan föra mig lângt lângt bort till andra sidan av jorden och rakt ut i rymden och djupt ner i havet…
Men ocksâ nära mig själv kan jag komma och närmare dig, när orden förklarar sâ att jag förstâr lite bättre än förr vem jag är, vem du är i världen ~ Des mots dans un livre – ils peuvent m’amener loin, loin vers l’autre côté du monde, tout droit dans l’espace et vers les profondeurs de la mer…
Mais je peux aussi m’approcher de moi-même et plus de toi, quand les mots expliquent d’une manière que je comprends un peu mieux qu’avant qui je suis, qui tu es dans le monde. Kaj Beckman, Jag ser pâ mig själv och andra – Je me regarde et les autres, 1976. Poème semé et traduit par Janet Helgesson
Les cosmos ont séché sur pied Devant la maison, Je suis triste. Il faut dire que je ne les arrose plus, Parce que utiliser de l’eau pour arroser, en ce moment, Je n’y arrive pas, L’eau potable si précieuse. Les cultures ont brûlé Les vignes hachées Les cosmos secs et bruns pendouillent Et je suis triste. Les ados, autour, sont inquiets, Ils font tout ce qu’ils peuvent Mais ça ne change pas grand-chose, Et ça me rend triste, tellement triste, Et les glaciers fondent.
Depuis la nuit des temps, Depuis que le monde est monde, Ce n’est pas drôle, on est d’accord, Mais là on pourrait tellement.
Alors je vais replanter des cosmos Et les arroser A l’eau de pluie récupérée A l’eau du robinet, tant pis, Non, quand-même pas Et je vais regarder le quartier Les roses trémières Les toits végétalisés Tout ce qui est en train de pousser Tout ce qui est en train de se passer Dans le quartier
Et comme depuis la nuit des temps Et comme depuis que le monde est monde, Fortes et fières Les bras qui restent levés Imaginer, planter, dégrapper Parce qu’on prend les choses en main A l’échelle du quartier.
17 juillet 2022
Paru dans Quartier libre 127 – automne-hiver 2022-2023
Update de cette fin d’été 2023: le serpent grandit à nouveau! Développement ci-dessous.
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25 juillet 2022: le début de l’histoire
Il ondule à Saint-Jean et grandit au fil des jours grâce à tout le monde: voici le serpent en galets peints du quartier. Sur une idée découverte à Jussy où se développe un rocksnake, voici le principe:
Chacune, chacun décore une petite pierre, un caillou, un galet et l’ajoute en déplaçant la queue, et on verra bien jusqu’où on ira! La participation est ouverte à tout le monde!
De la peinture et de la fantaisie, tout simple. Amusons-nous joyeusement en couleur! Lancé par un collectif du coin, habitant.es d’ici et des Ouches.
Partagez vos photos, votre créativité et vos idées: #serpentengaletsdesaintjean
Le serpent grandit: une famille du quartier a envoyé cette photo, une adorable petite main ajoutant son joli galet:
Le serpent est arrivé il y a un mois fin juillet 2022, il continue à grandir et tous les soirs on peut admirer de nouveaux galets ! Un atelier est organisé par le Forum 1203 samedi prochain 3 septembre dès 10h dans le cadre de La rue est à vous au Devin-du-Village, à votre imagination!
Les photos de l’atelier:
Début octobre 2022: le serpent a grandi de 20 cm à 20 mètres en huit semaines! A vos pinceaux, vos couleurs, vos idées, on va jusqu’où ?
Fin août 2023 Cela fait un moment que je me demandais quoi faire avec ces galets peints un peu décolorés, l’hiver avait passé par là. Tout enlever, les laisser? Le serpent a gardé fidèlement les poèmes de jardin depuis le printemps, puis les poèmes se sont envolés. Et puis un nouveau galet peint a fait son apparition, puis un autre (du coup comme une larme d’émotion dans mes yeux). Et puis un rallye familial a inclus un poste galets peints (quelle belle rencontre dimanche dernier). Et puis la jeune Paula aus Greifswald est venue nous rendre visite. Et puis je l’ai embarquée pour repeindre la tête du serpent, qui avait perdu ses couleurs. Et puis voilà, c’est reparti.
Septembre 2023 Cela se passe comme ça dans le quartier! Une meute de jeunes scout.e.s, louvettes et louveteaux, sont venus déposer leurs galets réalisés pendant leur séance de l’après-midi. Des adorables petites mains les ont soigneusement déposés, dans un bruissement de rires. Des taches de peinture partout, spécialement sur leurs petits nez!
Des pigeons
des faisans
des tourterelles
un coq
trois ânes
quatre chèvres
deux ratons laveurs
un yack
deux moutons steppes et un petit
deux daims
un ocelot
deux lamas
cinq paons
et un éléphant.
L’éléphant, c’est Saphir. La liste, les animaux qui ont été mis aux enchères au zoo de Saint-Jean, le jeudi 21 février 1944. Il y en avait bien plus, au départ, des animaux, quand cinq années plus tôt le zoo a ouvert. Mais s’enchainent fièvre aphteuses, problèmes financiers, la guerre. Beaucoup d’animaux sont morts de faim, plus de viande pour les nourrir, la guerre rationne. Longtemps on a retrouvé leurs os, leurs crânes, leurs dents, à cet endroit du quartier.
C’était entre le Nant Cayla et la campagne
Masset, le zoo, une idée d’un certain Henry Larsen, un taxidermiste danois qui
travaillait au Museum de Genève. La plupart des animaux ont été donnés, les
pélicans par Pelikan, l’éléphant par le directeur originaire du Sri Lanka d’un
magasin situé en bas de la rue du Mont-Blanc, la Maison Turco-indienne Saphirs.
De la publicité pour sa bijouterie, le don de l’éléphant Saphir. Qui est venu
depuis Ceylan par bateau jusqu’à Marseille puis en train jusqu’à Genève.
Le
soleil tapait, à l’inauguration du zoo en 1935. Le journaliste de la Gazette de
Lausanne qui était là raconte la chaleur sur les huttes rouges aux toits de
chaumes, le soleil sur les palmiers tropicaux, les buffles qui cherchent de
l’ombre, les sangliers qui errent mollement.
L’éléphant de la liste en-dessus, c’est
Saphir. Mis aux enchères à la fin de l’aventure, quand le zoo a fait faillite.
Que devient un éléphant mis aux enchères, à Genève. Un éléphant c’est gros, même
si celui-ci est petit, mais Saphir a laissé peu de traces. Selon les récits,
deux paysans de Chêne-Bougeries l’ont acheté pour huit cent francs, pour
économiser de l’essence, deuxième guerre mondiale, un éléphant c’est une bonne
idée pour remplacer un tracteur et labourer les champs. Un harnais en cordage a
été fabriqué pour lui.
Mais l’animal ne comprend pas le patois, pas
l’anglais, pas le français. Impossible de le faire obéir. Selon les récits toujours, ses propriétaires le vendent au cirque
Knie. Si on cherche des traces de Saphir, rien. Pas de mention des acquéreurs
chênois dans les archives de la vente aux enchères, ni dans celles laissées par
le jardin zoologique. Pas d’informations dans la Feuille d’avis officielle,
rien dans les vieux journaux. Un éléphant, c’est gros, mais Saphir a laissé peu
de traces.
Ce qu’il reste, c’est une maison, aux
Eidguenots, construite avec les briques de l’enclos aux éléphants. Les gens
venaient se servir des restes des constructions, dans le quartier. Il y en a
qui ont récupéré le fumier d’hippopotame pour faire pousser des salades.
De Saphir, plus aucune trace. Peut-être que parfois, il se promène encore là, dans les terres au-dessus du Rhône, au milieu du décor africain dessiné au mauvais moment par un passionné que l’histoire a presque effacé. J’aime imaginer l’éléphant marcher nonchalamment avec à ses côtés, le petit garçon à la mèche en forme de jet d’eau.
La bise frigorifie
les rues de la vieille ville, c’était une mauvaise idée de se donner
rendez-vous dehors, à la pause de midi, devant le carrousel, et d’arriver en
avance. Alors en attendant, c’est peut-être le moment, enfin, d’aller voir le
rouet au plafond, celui qui est dans tous les guides de la Genève insolite. Contourner
les sobres murs de pierre, pousser la porte.
Il y a de la
lumière, rentrer, d’un coup on est à l’abri. Sur la gauche, un bar à thé et à
café, une crouzille. Et des madeleines, faites maison précise la dame. Des
madeleines et une dame, juste
comme ça, pour la gourmandise et quelques mots, mais si on le veut seulement. Sur
la droite, une grande table, des chaises, à dispo, un peu plus loin trois fauteuils aux couleurs vives.
Cosy. On peut se poser là, et pique-niquer. Sans rien expliquer.
Un rouet au plafond.
C’est joli, l’histoire voudrait qu’une fileuse soit à l’origine de ce bâtiment,
qu’elle aurait légué à sa mort le fruit de son travail de la laine pour le
construire, mais non. En vrai, ce ne serait pas le rouet de la fileuse, mais les
armoiries de la famille de Rolle, qui au milieu du 15e siècle a
relevé les voûtes de la nef. De la nef, parce qu’on est là dans la plus vieille
église de Genève. De son clocher sonne chaque heure la plus vieille cloche de
la cité, le Grillet, qui nous vient de 1420. La plus vieille église de Genève,
devenue l’un des premiers temple, à la Réforme. Le temple de la Madeleine.
Derrière cette porte qui s’est ouverte, un coup de cœur. Calme, lumière et accueil. Des madeleines, des chaises et une table, s’y asseoir, avec son sandwich et ses collègues. Tous les jours sauf lundi entre midi et 17h. L’accueil, mais pas besoin d’adhérer, d’être d’accord ou je ne sais. Juste être là. C’est un peu cela dont nous avons besoin, là où on en est, aujourd’hui. Au cœur des rues couleur bleu foncé du Monopoly, la simplicité.
Publié dans le GHI, rubrique Point de vue, 3 mars 2022.
L’objet se décline en couleurs pastel et goûts de l’enfance.
Ses concepteurs, évidemment malins, l’ont produit satiné, agréable à caresser,
le design super bien pensé. On dirait un petit stylo, d’ailleurs les parents et
profs pensent que c’est un petit stylo. Ou une nouveauté geek de jeune gamer,
qui donnerait presque envie de se mettre à jouer. Le tenir en main est déjà une
sensation qui fait plaisir. Il ressemble à tout sauf à ce qu’il est : la
nouvelle version de la cigarette électronique. Son nom : le puff.
Jetable, quasiment invisible à détecter, fumable partout en
continu, en classe, dans les couloirs du cycle, dans sa chambre. On se le
procure au kiosque en face de l’école primaire, au rayon sucettes. Une dizaine
de francs la pièce, 600 taffes, le vendeur n’est pas regardant sur l’âge de
l’acheteur, qui d’ailleurs le fauche souvent.
L’enfant, l’ado, suçote ensuite sans s’arrêter ce biberon,
qui contient 5% de nicotine. Puis il le jette à la poubelle en revenant des
cours, pas de risque que le parent tombe sur la cigarette électronique
rechargeable (ou le paquet de cigarettes de l’époque) planqué dans la pile de
caleçons. Quand il vape, pas de
fumée et les adultes autour n’y voient que du feu, on est en retard de trois
guerres comme d’habitude depuis que le monde est monde, et je suis en colère. C’est
comme d’utiliser les dernières découvertes de la psychologie pour rendre les
ados encore plus accros aux jeux en ligne, de développer cet objet diabolique
pour les rendre dépendants à cette substance psychotrope.
Le puff ne rentre pas dans le cadre de l’initiative « Oui à
la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le
tabac » car ce n’est pas du tabac. Dedans (mais ce n’est pas fait pour
être ouvert, puisqu’on le jette après usage), il y a une batterie, une
résistance qui fait corps de chauffe, une petite led qui s’allume quand on
aspire et une sorte de ouate imbibée de sirop de glycol et de nicotine. Catastrophe
écologique.
Un biberon à la nicotine. On le tète sans pause et on le jette. Marshmallow et sirop de fraise, tétine et douceur, addiction et tête de mort.
Cette année, le sapin élargit les horizons. Partages de Noël
Par Anouk Dunant Gonzenbach
Depuis plusieurs années, le sapin à pommes à poèmes et à roulettes déambule dans les rues de Genève la semaine précédant Noël. Cette année, le cercle des mots s’élargit au-delà des poètes du cru, parce que l’esprit de notre ville est multiculturel.
Et que l’esprit de Noël, pour moi, c’est
créer des liens. Des
liens avec les personnes qui écrivent mais aussi avec les personnes qui
s’arrêtent devant le sapin pour lire les textes. Des liens brefs mais
authentiques. Quelques phrases, des sourires, et une compréhension immédiate de
l’instant qui se vit.
Cette année donc, le cercle des mots s’élargit. J’ai contacté la merveilleuse Sophie Frezza qui travaille à l’Université Ouvrière de Genève, et ai découvert les activités de cette institution. Lors de trois cours de français et d’alphabétisation, qui réunissent des personnes de tous horizons, des mots de Noël et de l’hiver ont été appris, dits, écrits. Et sont accrochés aux branches du sapin aux côtés de textes et poèmes d’auteur.e.s du coin. Peut-être que ces mots, comme des bougies, vont contribuer à éclairer les nuits de décembre.
Dimanche 19 décembre à 16h devant la Maison de Quartier de Saint-Jean: lecture de textes et thé, tout le monde est invité en toute simplicité!
Mardi 21 décembre: place du Bourg-de-Four
Mercredi 22 décembre: devant la bibliothèque de Saint-Jean
Jeudi 23 décembre: le matin sur la place de la Fusterie; l’après-midi devant la libraire du Rameau d’Or
Vendredi 24 décembre: devant la Coop de Saint-Jean
Si vous le souhaitez, vous pouvez participer en m’envoyant un texte ou poème de votre composition, jusqu’au 10 décembre prochain (maximum une demi-page)à l’adresse courrier@virusolidaire.ch. Ce texte sera imprimé et suspendu au sapin, qui sera chaque jour de la semaine précédant Noël présent à un endroit différent de la ville.
Noël 2020
Pourquoi
unsapin à pommes à poèmes et à
roulettes ?
Pour
le Noël 2014 est née l’idée du sapin à pommes mobile, à l’origine dans le cadre
des événements de Noël organisés par l’aumônerie de l’Université de
Genève. Le sapin a accompagné ces Noëls pendant cinq années en roulant
dans la cité, distribuant des pommes aux passants et aux étudiants.
Il
a provoqué de beaux échanges, des dialogues surréalistes, des interpellations
amusées, un intérêt sincère. Sa simplicité a désarmé. On ne s’y attendait pas
du tout. Nous avons découvert qu’offrir une pomme et un sourire, souvent, c’est
juste ça, l’esprit de Noël.
En
2019, le sapin a ajouté des poèmes sur ses branches. Un dimanche après-midi de
décembre, nous nous sommes réunies, un bouquet de femmes, autour d’une table de
la Treille dans le cadre d’un laboratoire d’écriture pour une lecture de
textes; ces textes ont ensuite été suspendus au sapin avec des rubans. Ce sapin
à pommes à poésie à roulettes a circulé dans les rues de la ville, de la poésie
a ainsi été offerte aux passants pendant toute la semaine précédant Noël.
En 2020, il n’était pas possible de se réunir. Sur ce blog est alors né le projet du calendrier de l’Avent en poésie: un texte ou poème par jour, sur le thème du sapin, de la pomme, de l’étoile, de l’hiver ou de Noël, ou même de n’importe quoi, mais illuminé par une lumière positive, écrit par des autrices et auteurs différents. Suite à un appel a texte, un texte a été publié chaque jour sur le blog, comme une porte de calendrier à ouvrir. Puis chaque texte et poème a été imprimé et suspendu à un sapin à pommes ambulant tiré par un vélo qui a circulé dans les rues de Genève avant Noël.
Pourquoi des pommes sur le sapin ? petit retour historique
Simplicité.
Qui vient de loin, on n’a rien inventé. Voici un bref résumé, tiré du livre de
mon ancien prof de l’Uni François Walter et d’Alain Cabantous. Dès la fin du
Moyen Age, on met des végétaux aux fenêtres de maisons au milieu de l’hiver,
mais cela n’a encore rien à voir avec Noël, on se protège comme cela des
mauvais esprits, des sorcières et des démons. Puis on commence à disposer des
arbres dans l’espace public et le sapin est choisi, le seul qui est vert en
hiver, symbole de vie, et c’est plus joli d’avoir du vert qu’un tronc tout nu.
On
est alors en 1521 à Sélestat en Alsace, où les archives gardent la trace d’un
sapin coupé qui sert de décoration. Le sapin devient associé à la fête de Noël
et entre ensuite gentiment dans les maisons, et quand il n’y a pas de place, il
est suspendu au plafond.
Dès
le début, le sapin est décoré avec des belles pommes rouges (qui rappellent
aussi l’arbre de la faute d’Adam et Eve), des noix et des fleurs en papier. Le
18ème siècle voit un grand essor du sapin de Noël, le 19ème siècle est celui de
l’apparition des bougies. Les pommes sont encore là, parfois dorées, avec des
sucreries.
Le
sapin de Noël se répand en Europe du nord, et une romancière anglaise raconte
qu’en 1836 on vend à Vienne des sapins déjà ornés d’une pomme, d’un fruit sec
ou d’un pain d’épices. Selon la légende, l’année 1860 subit une mauvaise
récolte de pommes. Les artisans verriers inventent alors des boules en verre
soufflé pour les remplacer. A la fin du 19ème siècle, les boules et les santons
sont fabriqués en série et dès 1950 les décorations de Noël s’industrialisent
et deviennent plus uniformes.
Alors
les pommes sur un sapin, c’est un peu un retour aux sources, mais surtout c’est
simple et comme c’est beau.
Référence : Alain Cabantous, François Walter, Noël. Une si longue histoire…, Editions Payot & Rivages, Paris, 2016.
Ma charrette de vélo, c’est toute une histoire. J’en désirais une ancienne, avec du vécu, un look un peu d’avant. J’ai cherché, et toute cette histoire est devenue une très belle histoire.Ma charrette de vélo, elle m’a été transmise par le boulanger des Délices, celui qui faisait le meilleur pain loin à la ronde, des pains au chocolat à se damner et des sandwiches au thon à se relever la nuit. Son épouse tenait la boulangerie, que d’échanges nous avons eus.
Le boulanger, il allait chercher sa farine en vélo, mais un jour il n’a plus pu remonter le Pont Sous-Terre. Alors il n’a plus utilisé sa charrette.Il me l’a transmise, me disant qu’il était heureux qu’elle continue à sillonner les rues du quartier.
Depuis, elle m’accompagne aux commis, au marché aux plantons, aux sacs Tournerêve et elle transporte chaque Noël le sapin à pommes devenu aussi à poèmes.
Mon fils trouve qu’elle ne tient pas assez la charge, ma charrette, surtout pour ses projets de tracter un musicien. Alors il veut remplacer les roues. Giuliano de Péclo me téléphone un peu inquiet, tu sais, les nouvelles roues, je viens de les recevoir, ça change un peu l’apparence, elles font un peu sport, peut-être qu’il faudra que tu les peignes avec des pois rouges et blancs.Alors je me suis mise au crochet.
« C’est un moment vécu où la main transcrit quelque
chose qu’on ne connaît pas ». Je l’écris fébrilement sur la feuille blanche, cette phrase de Jacqueline dont
je viens de faire la connaissance, mais en réalité je devrais la dessiner, la
phrase.
C’est samedi après-midi, au parc des Roses ou des Chats, là
où j’aimais m’asseoir pour allaiter, là, en haut des falaises de Saint-Jean, là
où le temps s’est une fois arrêté. Son vrai nom, c’est plus ou moins le parc de Warens, parce
que toute la nomenclature alentour se réfère à Jean-Jacques et qu’on y devine
des jeunes filles danser sous les ormeaux au son des chalumeaux.
Dans ce parc aujourd’hui, il y a dessin, un atelier de
croquis rapide, une étape d’un rallye à travers le quartier sous le signe de la
transition écologique. Comme c’est apparemment toujours le cas, les
participant.e.s qui reçoivent un crayon et un bloc ont peur, peur de ne pas
savoir, de ne pas y arriver, de ne pas pouvoir transcrire cette branche, cette
fleur, ce bout de tronc sur le papier. Si difficile de se laisser aller.
On est si bien sur une chaise, dans l’herbe, à l’ombre de
cet arbre impossible à dessiner. Déambulateurs, anniversaires d’enfants,
chaises roulantes et pas tranquilles passent et repassent sur le chemin. J’avais
oublié qu’ici, tout le monde se dit bonjour, là, en haut des falaises de
Saint-Jean. Un air de 19e siècle entre le lilas et la glycine, comme
dans un jardin à l’ancienne.
Jacqueline, elle ne donne pas trop d’indications, juste un crayon et un bloc. Elle peste sur son propre croquis, trois fleurs sauvages, ratées selon elle, puis l’écorce réussie, pendant qu’on rit de rien, de tout et de la vie.
Tiens, deux personnes dessinent mon vélo à fleurs. On dirait que Sixtine a deviné que pour moi, le paradis c’est une table et deux chaises d’autrefois installées sous un arbre. Un lien se crée, puis un autre. Jacqueline, elle dit que pour elle, le croquis est un aboutissement et non le début de quelque chose.
Ce qui se joue là, sous cet arbre, pourtant, c’est le début de nouveaux liens, de nouveaux fils à travers le quartier. Qui se tisseront plus serrés ou non, là n’est pas la question, ce qui est essentiel, c’est là, sous cet arbre, ce samedi après-midi. On est d’accord, avec Jacqueline, professionnelle du dessin, cet après-midi là qui a passé si vite, c’est bien ça qui est important.
Trois petits tours du quartier et puis ne s’en vont pas
Un gobelet avec un arbre violet dessus, réutilisable, voilà
ce qu’elle attrape sur l’étagère de la cuisine ce samedi-là au milieu de la
matinée. Avant de retrouver ses deux amies sur les voies couvertes, à distance
réglementaire. La situation étant ce qu’elle est, il n’y a pas d’anniversaire à
préparer, de tournoi, d’audition, d’horaire serré et de famille à stresser.
Elle est en avance, elle marche seule, entre deux
confinements, l’air le sent. Elle se tait à voix haute, le silence est
assourdissant. Tout est différent. Le sac à main pèse plus lourd, c’est le
flacon de désinfectant. Les autres arrivent, chacune son gobelet, début du tour
du quartier. Qui commence à bruisser.
Premier arrêt à la première boulangerie. Dans sa poche,
Julie cherche son masque. Et sa monnaie. Les poches de Julie, c’est toute une
histoire. Premier café, renversé, cappuccino. Un rayon de soleil, c’est
agréable, sur le trottoir. Les gens passent. Souvent, des traits tirés derrière
le masque. Avec le soleil, ça va mieux.
Le quartier est bien achalandé, mine de rien, mine de tout.
Arcade après arcade, elles n’en loupent pas une ce samedi-là. Le filet à provisions s’alourdit. Pain,
aspirine, poulet, farine de manioc, salade, bières. Un deuxième café à la
deuxième boulangerie, puis un troisième bio un peu plus loin et un peu plus
tard. Quand la petite aiguille de l’horloge aura avancé d’un cran. Qu’elles se
seront mises au fait de telle ou telle partie de leur vie, de leur semaine, des
élections américaines.
Tour du quartier, sentiment du provisoire dans la certitude,
de la certitude dans le provisoire. Un lieu de vie qui dure, un quartier
proche. Le troisième café sera acheté puis bu un peu plus loin, quand elles
auront refait le monde, se seront posées plein de questions. L’infini de un
est-il plus petit que l’infini de deux. Le quartier, lui, est là, solide. Le
clocher de l’école y veille. Ses habitantes et habitants aussi.
Chaque samedi, elles referont le monde et le tour du quartier, un, deux, trois petits tours et plus, et puis ne s’en vont pas.
Dans la boîte aux lettres, un flyer. Quelques jours plus tard, une lettre de trois pages. De La Poste, ces deux envois. Pour annoncer l’inauguration prochaine de la nouvelle filiale des Charmilles.
Elle n’est pas très nouvelle, cette filiale, puisqu’il
s’agit en réalité d’un déménagement. La Poste des Charmilles, qui fut d’un côté
de la place, puis de l’autre, mais dans un bâtiment exprès pour elle, est
installée désormais dans le centre commercial de Planète-Charmilles. Histoire
de bien rassembler sous les néons sans âme un bout du géant jaune avec le
reste, des échoppes que je préférais largement fréquenter le long de la rue
sous les humeurs changeantes du ciel.
Tous ces courriers m’expliquent que je vais largement y gagner au change, parce qu’il y aura un nouvel Automate My Post 24 dans le dispositif. Grâce à cette évolution, «certaines prestations postales seront accessibles de jour comme de nuit». Comme je rêvais de retirer des paquets à deux heures du matin, je serai une femme comblée. Bien sûr, il faudra scanner un QR code imprimé (en installant l’application Post-App mais ceci est une autre histoire). La prose postale m’explique bien qu’il s’agit d’un service «très prisé et apprécié».
C’est un peu comme les fraises en hiver de l’autre géant, le
orange, celui qui est à l’étage du dessous. Le jour où je lui ai demandé la
pertinence de les vendre en février, il m’a répondu que c’était une demande des
clients, et que celles en provenance du Portugal étaient très goûteuses à cette
saison. Très performants en matière de création de demandes des clients, les
géants.
Si je comprends bien, les horaires d’ouverture des guichets
de cette filiale postale du quartier sont réduits au fil du temps (à part le
samedi après-midi qui devient ouvert, je le reconnais de bonne foi), mais des
automates les remplacent. Dans chaque quartier, moins de personnes derrière les
guichets (ou les caisses des supermarchés d’ailleurs), mais plus de robots. Pour
autant que ça marche, car « si tous les compartiments de l’Automate My Post 24 sont déjà
utilisés, vous devrez retirer votre envoi au guichet » (guichet dont
l’horaire sera réduit). Un peu comme l’automate pour rendre ses livres H24 à la
bibliothèque de la Cité, en panne depuis plusieurs mois.
Je ne prise ni n’apprécie de m’adresser à un automate. J’aime le contact, même bref, avec la postière (rappelons que Saint-Jean, irréductible, avait sauvé sa poste, hommage à ces héro.ïne.s) le facteur, la fleuriste, les boulangères. Evidemment, il y a celles qui travaillent tôt, ceux qui rentrent tard. Il devrait être possible d’élargir les horaires des guichets (même pas de les élargir, en fait, de les remettre à une version d’il y a quelques années) en engageant des vraies personnes.
Si l’humain arrive à créer des montages financiers qui rendent impossible tout traçage à travers des dédales de sociétés-écrans dans des multitudes de paradis fiscaux, il doit bien être capable d’inventer un système économiquement viable pour que les géants continuent à offrir du travail à des vraies personnes à qui l’on peut dire de vrais bonjour-aurevoir.
Je suis pour les framboises en été, les paquets distribués derrière cette vitre qui monte et qui descend (des paquets contenant des cadeaux faits à la main, pas des actions Amazon), l’avis de ma pharmacienne, les nouvelles du chien de notre caissière, les conseils des bibliothécaires, les boîtes à échange, le travail pas noir, les cafés suspendus, les tulipes dans la rue, les bons gros géants humains, locaux et durables.
Je vous invite à participer au projet suivant: un texte ou poème par jour comme calendrier de l’Avent sur ce blog!
Par Anouk Dunant Gonzenbach
Nous ne savons pas si l’Avent sera en confinement ou pas, mais le mois de décembre arrive et je vous propose de participer au projet du calendrier de l’Avent en poésie: un texte ou poème par jour, sur le thème du sapin, de la pomme, de l’étoile, de l’hiver ou de Noël, ou même de n’importe quoi, mais illuminé par une lumière positive, écrit par des autrices et auteurs différents. Chaque jour un texte sera publié sur ce blog. Puis chaque texte sera imprimé et suspendu à un sapin à pommes ambulant tiré par un vélo qui circulera dans les rues de Genève la semaine précédant Noël.
Si vous souhaitez participer, envoyez-moi un texte (et ce qui serait formidable une photo l’illustrant) à l’adresse suivante: courrier@virusolidaire.ch . On bricolera au fur et à mesure: si beaucoup de textes arrivent, on pourra les regrouper en bouquets par journée.
Pourquoi
unsapin à
pommes et à roulettes ?
Pour le Noël 2014 est née l’idée du sapin à
pommes mobile, à l’origine dans le cadre des événements de Noëls organisés par
l’aumônerie de l’Université de Genève.
Le sapin a accompagné ces Noëls pendant cinq années en roulant dans la
cité, distribuant des pommes aux passants et accompagnant les soirées de chant
gospel au kiosque des Bastions.
Il a provoqué de beaux échanges, des
dialogues surréalistes, des interpellations amusées, un intérêt sincère. Sa
simplicité a désarmé. On ne s’y attendait pas du tout. Nous avons découvert
qu’offrir une pomme et un sourire, souvent, c’est juste ça, l’esprit de Noël.
En 2019, le sapin a ajouté des poèmes sur
ses branches. Un dimanche après-midi de décembre, nous nous sommes réunies, un
bouquet de femmes, autour d’une table de la Treille dans le cadre d’un
laboratoire d’écriture pour une lecture de textes; ces textes ont ensuite été
suspendus au sapin avec des rubans.
Ce sapin à pommes à poésie à roulettes a circulé dans les rues de la ville, de la poésie a ainsi été offerte aux passants pendant toute la semaine précédant Noël.
Pourquoi des pommes sur le sapin ? petit retour historique
Simplicité. Qui vient de loin, on n’a rien inventé. Voici un bref résumé, tiré du livre de mon ancien prof de l’Uni François Walter et d’Alain Cabantous. Dès la fin du Moyen Age, on met des végétaux aux fenêtres de maisons au milieu de l’hiver, mais cela n’a encore rien à voir avec Noël, on se protège comme cela des mauvais esprits, des sorcières et des démons. Puis on commence à disposer des arbres dans l’espace public et le sapin est choisi, le seul qui est vert en hiver, symbole de vie, et c’est plus joli d’avoir du vert qu’un tronc tout nu.
On est alors en 1521 à
Sélestat en Alsace, où les archives gardent la trace d’un sapin coupé qui sert
de décoration. Le sapin devient associé à la fête de Noël et entre ensuite
gentiment dans les maisons, et quand il n’y a pas de place, il est suspendu au
plafond.
Dès le début, le sapin est décoré avec des belles pommes rouges (qui rappellent aussi l’arbre de la faute d’Adam et Eve), des noix et des fleurs en papier. Le 18ème siècle voit un grand essor du sapin de Noël, le 19ème siècle est celui de l’apparition des bougies. Les pommes sont encore là, parfois dorées, avec des sucreries.
Le sapin de Noël se répand en Europe du nord, et une romancière anglaise raconte qu’en 1836 on vend à Vienne des sapins déjà ornés d’une pomme, d’un fruit sec ou d’un pain d’épices. Selon la légende, l’année 1860 subit une mauvaise récolte de pommes. Les artisans verriers inventent alors des boules en verre soufflé pour les remplacer. A la fin du 19ème siècle, les boules et les santons sont fabriqués en série et dès 1950 les décorations de Noël s’industrialisent et deviennent plus uniformes.
Alors les pommes sur un sapin, c’est un peu un retour aux sources, mais surtout c’est simple et comme c’est beau.
Référence :
Alain Cabantous, François Walter, Noël. Une si longue histoire…, Editions Payot & Rivages, Paris, 2016.
La
Concorde, ce n’est pas celle de Paris à midi le 15 août chantée par Prévert,
c’est le quartier de Genève en pleine mutation, à cheval sur deux communes,
Genève et Vernier, entre l’avenue
d’Aïre et Châtelaine. Un périmètre
en chantier, en densification depuis quelques années. Un mélange d’habitants
dont c’est le lieu de vie depuis de très nombreuses années et de nouveaux
venus. Une population mixte.
Le
crieur, c’est Thibaut Lauer, adepte des projets spontanés même s’ils sont mal
ficelés, convaincu que ce type d’initiative propose du sens même si tout n’est
pas forcement impeccable, porté par ce qui conduit droit au cœur du lien.
Thibaut est animateur socio-culturel à la Maison de Quartier de la Concorde et
travaille avec sa collègue Floriane Pfister.
Le
virus a eu raison de l’ouverture de la Maison de quartier, mais les animateurs
ne se voient pas abandonner les habitant.e.s, pour certains fragiles et
précaires. Alors, il faut innover, impensable de rester passif, tout en
respectant les règles sanitaires. Thibaut et Floriane ont alors l’idée de faire
revivre la coutume qui vient du fond des âges, celle du crieur public, pour
établir ou renforcer les liens (inter)rompus par la pandémie.
L’action
est annoncée par les canaux du quartier. Chaque habitant.e est invité.e à
envoyer un texte, un poème, une citation à partager via courriel ou Whatsapp.
Mots qui seront criés une fois par semaine, le mercredi, dans quatre lieux du
quartier : rue Jean-Simonet, devant les immeubles de l’école
Emilie-de-Mosier, aux Jardins du Rhône et à l’angle Henri-Bordier/Concorde.
C’est humble, modeste, sans moyen technique élaboré puisqu’il était impossible d’acheter quoi que ce soit, les magasins étant fermés. Un mégaphone, un téléphone, un câble sur le dos, et c’est parti. Le crieur et son acolyte, accompagnés par la suite par une jeune musicienne du lieu au Ukulélé, déambulent à la rencontre des différents endroits du quartier.
L’appel à textes n’a pas vraiment fonctionné, les propositions n’ont pas été nombreuses. Mais jolies : la légende du colibri de Pierre Rabhi ou la légende de la Terre-Mère des Hurons. Des citations de Mandela, Saint-Exupery ou Nietzsche, aussi. En revanche, il y a eu pas mal de demandes de musique dont Think d’Aretha Franklin, Asimbonanga de Johnny Clegg ou encore La fiancée de l’eau de La rue Ketanou.
Le
crieur arrive dans la cour, au pied des immeubles, salue. Des mamans avec enfants
qui jouent dans le lieu regardent d’abord avec étonnement. Issue du natel et
amplifiée par le mégaphone, la musique s’élève et vient enjoliver pour un petit
bout de journée ce quotidien souvent difficile à gérer. Dans certains lieux,
l’ambiance est là, dans d’autres il s’agit d’apprivoiser ce moment, le lieu,
les gens.
Au fil des mercredis (six en tout), le crieur affine la prestation avec sa connaissance du terrain chaque fois améliorée. On ne rencontre pas les gens sans un minimum d’attention. Au fil des mercredis, des visages timides apparaissent derrière la vitre, puis à la fenêtre ouverte ou sur le balcon. De très beaux regards, des partages de grands isolements, d’immenses solitudes. Au fil des mercredis, ces premières approches promettent les rencontres de demain.
Puis,
doucement, voyant poindre la fin du confinement, il a été décidé de terminer ce
projet, avec le public et en gardant une attention au lieu, plutôt que
d’effriter l’action en queue-de-poisson.
Habiller le terrain par cette prestation a été l’opportunité pour les
animateurs socio-culturels d’être dans un lien, quel qu’il soit. Ce n’était pas
léché, c’était doux, réalisé avec les moyens du bord, en adéquation avec les
publics fragiles qui ont du mal quand c’est trop parfait. L’animateur a un
visage, celle du crieur public. Il est repéré, identifié, un jeune bleuté par
la vie a pu être ainsi aiguillé par un habitant sur une figure désormais
connue.
Trois bouts de ficelle, des mots, des notes, une présence qui a permis la rencontre. Des applaudissements, parfois timides, à la fin. On est là au cœur du vrai, au centre de l’authentique. Le récit de Thibaut me fait frissonner. Cette action, une bulle d’espérance, une de ces petites bulles qui rendent le monde meilleur.
C’est dans le quartier, c’est trop bien et il y a eu
un article dans la Tribune. Il fallait vraiment aller voir et se renseigner. Un
des objectifs de ce blog, mettre en lumière les actions positives, les bulles d’espérance,
ce qui est beau là, autour, tout près. Alors cap sur la Maison Ronde. L’écrin
de la Chorale de Saint-Jean.
Comment cela a commencé, on ne s’en rappelle pas bien.
Des affichettes sur les portes des immeubles, peut-être le deuxième, ou
troisième jour du confinement, annonçant qu’à 18h, on chantera Je t’emmène au vent de Louise Attaque,
il y a les paroles sur l’affiche. Alors côté cour ce jour-là à 18h, les gens
sortent sur les balcons. Les notes de la chanson retentissent depuis un petit
haut-parleur, une voisine dirige
depuis en bas ce chœur naissant, les gens chantent. Tout recommence le lendemain,
et c’est parti.
Un groupe Whatsapp pré-existant s’étoffe, les choses
s’organisent toutes seules. Très vite, une famille musicienne au balcon de
l’immeuble d’en face met sa sono à disposition pour remplacer le petit
haut-parleur et joue en live un morceau après la chanson du jour, il semble que
leur interprétation des Cactus de
Dutronc a marqué les esprits. Le pli est pris, le chant du jour est annoncé à
l’avance, puis deux ou trois chansons par jour.
Il y a eu des appels, qui s’occupe du mardi, du mercredi,
du jeudi. Chacun s’inscrit pour
organiser tel ou tel soir, ça roule, il y a des chansons pour les enfants comme
Buvons un coup ma serpette est perdue version
Henri Dès, des chorégraphies tous en mode Beach Boys avec Surfin USA. Chaque jour sans exception.
La chorale de Saint-Jean, appelée ainsi par la
Tribune et le nom est resté, devient de plus en plus créative. Des thèmes sont
lancés : la plage, les bébés, l’aérobic, une soirée en hommage au chanteur
Christophe, le Reggae, Queen, l’amour, les bulles de savon. C’était très beau,
les bulles de savon provenant de tous ces balcons s’envolant dans un ciel tout
bleu avec les notes de musique.
Il y a aussi des quiz, le voisin du jour pose des
questions, par exemple deviner une chanson, une série télévisée, un animal.
Parmi ces jours spéciaux, une course a été organisée dans la cour, une personne
après l’autre tournant en rond sous les applaudissements des balcons et la
musique à fond. Le but était d’atteindre les deux cent tours de cour.
Forcément, les voisins plus éloignés ou des curieux
sont attirés et viennent assister, ce qui n’est plus très distance physique
compatible. La police veille, bienveillante. Seul bémol, le jour où elle a dû intervenir à cause d’une
plainte pour cause de bruit. Certains ont le confinement plus sombre.
La
Maison Ronde
Benoît relève que le lieu est comme juste fait
exprès pour cela, un amphithéâtre au sens propre du terme. D’ailleurs, si le
son passe assez mal lorsqu’on est dans la cour en train de diriger le chœur,
depuis les balcons la sonorité est incroyable.
La chorale de Saint-Jean est donc en parfaite adéquation avec le lieu. Ce lieu, cette Maison Ronde surnommée Rotonde ou Colisée, un ensemble de cinq immeubles de six étages réalisé à la fin des années 1920 par l’architecte Maurice Braillard. Une architecture qui favorise les rencontres. Un ensemble classé monument historique depuis 1995.
Prendre
le temps de s’amuser
Et bien sûr, ce rendez-vous de 18h a renforcé les
liens et les solidarités entre voisins, même s’il y en avait déjà pas mal.
Hélia, 15 ans, insiste sur le fait que cette aventure quotidienne permet de
connaître des personnes qu’elle n’avait peut-être jamais vues. Comme tout le
monde a le temps, elle apprécie de prendre ce temps avec les autres et de
s’amuser avec ceux qui vivent juste à côté.
Benoît raconte que ce moment de 18h donnait du sens
et du courage pour la journée qui tendait vers ce rendez-vous, surtout pendant
les trois premières semaines, surtout quand on est confiné avec des enfants en
bas âge. Léon, 16 ans, confirme que c’est un bon défouloir en fin d’après-midi,
qui permet de décompresser après les télédevoirs. Pour Hélia, c’est un moment
qui remonte le moral à beaucoup de personnes vu les sourires sur tous ces
visages. Elle m’écrit par message, mais je peux voir les étoiles dans ses yeux,
comme c’était une bonne idée de réaliser plein d’activités, dont « des
projections de courts-métrages d’animation quand le soleil se couche ».
Aussitôt
dit aussitôt fait
Un des points forts de cette aventure, c’est la bougeocratie. Benoît n’en revient toujours pas. Si quelqu’un lance une idée par SMS, hop le lendemain c’est réalisé, concrétisé. Par exemple, l’idée de tendre une corde entre la Maison Ronde et l’immeuble d’en face pour matérialiser le lien sonore et virtuel, en y accrochant des bricolages. Ni une ni deux, c’est fait.
Laissons le mot de la fin à Hélia : « pis c’est toujours bien fait pour inclure toutes les générations ».