Par Anouk Dunant Gonzenbach
Des pigeons
des faisans
des tourterelles
un coq
trois ânes
quatre chèvres
deux ratons laveurs
un yack
deux moutons steppes et un petit
deux daims
un ocelot
deux lamas
cinq paons
et un éléphant.
L’éléphant, c’est Saphir. La liste, les animaux qui ont été mis aux enchères au zoo de Saint-Jean, le jeudi 21 février 1944. Il y en avait bien plus, au départ, des animaux, quand cinq années plus tôt le zoo a ouvert. Mais s’enchainent fièvre aphteuses, problèmes financiers, la guerre. Beaucoup d’animaux sont morts de faim, plus de viande pour les nourrir, la guerre rationne. Longtemps on a retrouvé leurs os, leurs crânes, leurs dents, à cet endroit du quartier.
C’était entre le Nant Cayla et la campagne Masset, le zoo, une idée d’un certain Henry Larsen, un taxidermiste danois qui travaillait au Museum de Genève. La plupart des animaux ont été donnés, les pélicans par Pelikan, l’éléphant par le directeur originaire du Sri Lanka d’un magasin situé en bas de la rue du Mont-Blanc, la Maison Turco-indienne Saphirs. De la publicité pour sa bijouterie, le don de l’éléphant Saphir. Qui est venu depuis Ceylan par bateau jusqu’à Marseille puis en train jusqu’à Genève.
Le soleil tapait, à l’inauguration du zoo en 1935. Le journaliste de la Gazette de Lausanne qui était là raconte la chaleur sur les huttes rouges aux toits de chaumes, le soleil sur les palmiers tropicaux, les buffles qui cherchent de l’ombre, les sangliers qui errent mollement.
L’éléphant de la liste en-dessus, c’est Saphir. Mis aux enchères à la fin de l’aventure, quand le zoo a fait faillite. Que devient un éléphant mis aux enchères, à Genève. Un éléphant c’est gros, même si celui-ci est petit, mais Saphir a laissé peu de traces. Selon les récits, deux paysans de Chêne-Bougeries l’ont acheté pour huit cent francs, pour économiser de l’essence, deuxième guerre mondiale, un éléphant c’est une bonne idée pour remplacer un tracteur et labourer les champs. Un harnais en cordage a été fabriqué pour lui.
Mais l’animal ne comprend pas le patois, pas l’anglais, pas le français. Impossible de le faire obéir. Selon les récits toujours, ses propriétaires le vendent au cirque Knie. Si on cherche des traces de Saphir, rien. Pas de mention des acquéreurs chênois dans les archives de la vente aux enchères, ni dans celles laissées par le jardin zoologique. Pas d’informations dans la Feuille d’avis officielle, rien dans les vieux journaux. Un éléphant, c’est gros, mais Saphir a laissé peu de traces.
Ce qu’il reste, c’est une maison, aux Eidguenots, construite avec les briques de l’enclos aux éléphants. Les gens venaient se servir des restes des constructions, dans le quartier. Il y en a qui ont récupéré le fumier d’hippopotame pour faire pousser des salades.
De Saphir, plus aucune trace. Peut-être que parfois, il se promène encore là, dans les terres au-dessus du Rhône, au milieu du décor africain dessiné au mauvais moment par un passionné que l’histoire a presque effacé. J’aime imaginer l’éléphant marcher nonchalamment avec à ses côtés, le petit garçon à la mèche en forme de jet d’eau.
Paru dans Quartier libre 126 – printemps-été 2022
Photos: www.leszoosdanslemonde.com