Par Anouk Dunant Gonzenbach
Ma pièce de deux francs est bien là, j’ai vérifié, dans mon porte-monnaie. Pédaler jusqu’à la gare, s’arrêter devant la vélo-station, glisser la pièce dans la fente, recevoir la carte journalière, ouvrir la porte, parquer le vélo dans l’abri, marcher jusqu’au quai et boire tranquillement un café en attendant le train. Je me réjouis, avec le Covid ça fait longtemps que je ne suis pas sortie du canton, cette visite professionnelle s’annonce comme sur des roulettes.
Sauf que. L’automate à carte journalières pour bicyclettes est défectueux, il n’accepte pas ma pièce. J’espère que le type à l’autre bout de l’interphone va me débloquer la porte. Pas du tout, il me conseille de télécharger l’application ad hoc. J’obtempère. Il faut un mot de passe. Le temps passe. Saisir une deuxième fois le mot de passe pour être sûr. Forcément mon doigt tape à côté. Je commence légèrement à m’énerver. C’est bon, il est accepté. L’application doit être liée à une autre déjà installée, la Swisspass. Donc entrer son mot de passe. Je suis censée m’en souvenir ? Je le redemande. Un lien est envoyé dans ma boîte e-mail. Cliquer. Le temps passe, le train avance.
Je franchis le niveau 2 du jeu, les applications sont reliées. Je soupçonne que la machine a été bloquée exprès, pour nous faire télécharger l’application, après plus besoin de l’entretenir, la machine. Je monte les tours.
Choisir le produit souhaité : une carte d’un jour pour se garer dans la vélo station. Mode de payement ? Application Postfinance. Tiens, elle s’ouvre toute seule. Douée d’une vie propre. Mot de passe ? Je transpire. Ah oui. J’ai tout. Je présente le QR-Code, la porte ne s’ouvre pas. Je suis à deux doigts de lancer un coup de poing dans l’interphone du pauvre type à l’autre bout qui n’y peut rien. Je profite de l’ouverture de la porte de quelqu’un d’autre, certainement un être supérieurement intelligent.
Après, il faut un autocollant mais ce n’est pas comme si l’application m’en informerait. L’être supérieurement intelligent et habitué de la nouvelle procédure me sauve à nouveau. Lancer mon Iphone par terre, non, inutile. Je ne suis pas faite pour ce monde-là, j’aimerais glisser ma pièce de deux francs dans la machine ou mieux, une personne à l’accueil à qui sourire.
Je lutte contre les caisses automatiques à la Coop, je tiens à échanger avec la caissière ou le caissier. Mais il paraît que je mène un faux combat, que la caisse automatique procurera à cette personne un meilleur métier. J’ai surtout peur qu’il n’y ait plus personne du tout.
Ne suis-je pas faite pour ce monde-là où quasiment toute action nécessite trois applications ?
Ou faut-il chercher ailleurs les échanges et les sourires et la simplicité et le temps – exprès choisi avec un battement pour s’arrêter sur le quai un café à la main et non pour télécharger frénétiquement?
PS : au cas où, la vélo-station derrière la gare Cornavin ne s’appelle pas Cornavin mais Montbrillant. J’ai sélectionné la mauvaise station, voilà pourquoi la porte ne s’ouvrait pas.
19 octobre 2020