Novembre 2020. Je ressors ici cet texte que j’avais écrit au printemps 2018.
Fin de printemps 2018. Le conseiller fédéral dernier élu en date voit
comme un avantage les exportations d’armes vers les pays en guerre
civile. Jusqu’à aujourd’hui, la majorité de notre gouvernement faisait
bloc. Et là, ça se renverse.
Résultat : exporter du matériel de guerre dans des pays en conflit
civil devient possible. Mais comme en Suisse on prend ses précautions,
on soigne les apparences, on place un nain de jardin sur le bout d’herbe
qui dépasse, un bateau blanc sur un lac bleu, on passe à la broyeuse
les archives compromettantes, on va s’assurer qu’il n’y aura qu’un
faible risque que le matériel vendu soit utilisé dans l’objectif pour
lequel il a été fabriqué.
Le monde prend l’eau de toutes parts, les enfants mexicains sont
enlevés à leur parents à la frontière étasunienne, les état se battent
pour ne pas accueillir les bateaux Aquarius, les hauts commissaires aux
droits de l’homme ne tiennent pas le coup plus d’un mandat, les
Rohingyas sont toujours massacrés, et la Suisse étend la vente des
armes.
En toute hypocrisie diplomatique. Une auréole au-dessus du Palais fédéral. Une franche poignée de main virile qui tue.
Cette fois, on ne pourra pas dire, cinquante ans plus tard, qu’on ne savait pas.
Qu’on accueille des réfugiés qui racontent leurs souffrances, venus
de conflits négligés par la presse dans l’indifférence générale, qu’on
ne croit pas lorsqu’ils affirment être en danger, et qu’on vend des
vieux chars qui par divers détours approvisionneront ces mêmes conflits
et contribueront à créer plus de morts et de réfugiés, une boucle pas
stoppée, aucun intérêt de l’arrêter tant que ça enrichit, alors c’est
bien mieux de prolonger les conflits. Lire le livre de Martin Sutter, le Cuisinier. Auréole de lingots d’or au dessus du Palais fédéral.
Cinquante ans plus tard, on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.
Qu’on ne savait pas que des enfants allaient se tirer dessus, otages de
deux armées adverses, des enfants qui n’auront jamais 12 ans.
On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas que, que, … Commencer une liste à la Prévert ? Non.
Le monde prend l’eau de toutes parts, et dans ce pays, dans mon pays,
en quelques lignes, on va encore plus y contribuer. Entre huit
bouteilles de champagne dans un hôtel de luxe de Saint-Moritz, la messe
est souvent dite, entre capitaines et leurs états-majors économiques, on
aide à s’entre-tuer.
La Suisse vend des armes. Règne de l’économie, hypocrisie. Tradition
humanitaire. Sur la croix blanche sur fond rouge, sur la croix rouge sur
fond blanc, des enfants soldats morts. La Suisse continue à vendre des
armes, mais désormais en mieux. Continuons à regarder le mondial de
foot.
Je vous invite à participer au projet suivant: un texte ou poème par jour comme calendrier de l’Avent sur ce blog!
Par Anouk Dunant Gonzenbach
Nous ne savons pas si l’Avent sera en confinement ou pas, mais le mois de décembre arrive et je vous propose de participer au projet du calendrier de l’Avent en poésie: un texte ou poème par jour, sur le thème du sapin, de la pomme, de l’étoile, de l’hiver ou de Noël, ou même de n’importe quoi, mais illuminé par une lumière positive, écrit par des autrices et auteurs différents. Chaque jour un texte sera publié sur ce blog. Puis chaque texte sera imprimé et suspendu à un sapin à pommes ambulant tiré par un vélo qui circulera dans les rues de Genève la semaine précédant Noël.
Si vous souhaitez participer, envoyez-moi un texte (et ce qui serait formidable une photo l’illustrant) à l’adresse suivante: courrier@virusolidaire.ch . On bricolera au fur et à mesure: si beaucoup de textes arrivent, on pourra les regrouper en bouquets par journée.
Pourquoi
unsapin à
pommes et à roulettes ?
Pour le Noël 2014 est née l’idée du sapin à
pommes mobile, à l’origine dans le cadre des événements de Noëls organisés par
l’aumônerie de l’Université de Genève.
Le sapin a accompagné ces Noëls pendant cinq années en roulant dans la
cité, distribuant des pommes aux passants et accompagnant les soirées de chant
gospel au kiosque des Bastions.
Il a provoqué de beaux échanges, des
dialogues surréalistes, des interpellations amusées, un intérêt sincère. Sa
simplicité a désarmé. On ne s’y attendait pas du tout. Nous avons découvert
qu’offrir une pomme et un sourire, souvent, c’est juste ça, l’esprit de Noël.
En 2019, le sapin a ajouté des poèmes sur
ses branches. Un dimanche après-midi de décembre, nous nous sommes réunies, un
bouquet de femmes, autour d’une table de la Treille dans le cadre d’un
laboratoire d’écriture pour une lecture de textes; ces textes ont ensuite été
suspendus au sapin avec des rubans.
Ce sapin à pommes à poésie à roulettes a circulé dans les rues de la ville, de la poésie a ainsi été offerte aux passants pendant toute la semaine précédant Noël.
Pourquoi des pommes sur le sapin ? petit retour historique
Simplicité. Qui vient de loin, on n’a rien inventé. Voici un bref résumé, tiré du livre de mon ancien prof de l’Uni François Walter et d’Alain Cabantous. Dès la fin du Moyen Age, on met des végétaux aux fenêtres de maisons au milieu de l’hiver, mais cela n’a encore rien à voir avec Noël, on se protège comme cela des mauvais esprits, des sorcières et des démons. Puis on commence à disposer des arbres dans l’espace public et le sapin est choisi, le seul qui est vert en hiver, symbole de vie, et c’est plus joli d’avoir du vert qu’un tronc tout nu.
On est alors en 1521 à
Sélestat en Alsace, où les archives gardent la trace d’un sapin coupé qui sert
de décoration. Le sapin devient associé à la fête de Noël et entre ensuite
gentiment dans les maisons, et quand il n’y a pas de place, il est suspendu au
plafond.
Dès le début, le sapin est décoré avec des belles pommes rouges (qui rappellent aussi l’arbre de la faute d’Adam et Eve), des noix et des fleurs en papier. Le 18ème siècle voit un grand essor du sapin de Noël, le 19ème siècle est celui de l’apparition des bougies. Les pommes sont encore là, parfois dorées, avec des sucreries.
Le sapin de Noël se répand en Europe du nord, et une romancière anglaise raconte qu’en 1836 on vend à Vienne des sapins déjà ornés d’une pomme, d’un fruit sec ou d’un pain d’épices. Selon la légende, l’année 1860 subit une mauvaise récolte de pommes. Les artisans verriers inventent alors des boules en verre soufflé pour les remplacer. A la fin du 19ème siècle, les boules et les santons sont fabriqués en série et dès 1950 les décorations de Noël s’industrialisent et deviennent plus uniformes.
Alors les pommes sur un sapin, c’est un peu un retour aux sources, mais surtout c’est simple et comme c’est beau.
Référence :
Alain Cabantous, François Walter, Noël. Une si longue histoire…, Editions Payot & Rivages, Paris, 2016.
J’ai l’immense plaisir de vous présenter ici mon nouveau recueil, paru en juin 2020 aux éditions des Sables :
Anouk Dunant Gonzenbach, Il s’agit ne de pas se rendre. Réflexions sur l’espérance, éditions des Sables, 2020.
En été 2006, l’auteure subit un deuil périnatal (fausse couche tardive) à cinq mois de grossesse. Au fil des mois et des années, elle se questionne sur la manière de réagir face à drame aussi hermétique et de s’en relever. Ce cheminement intérieur à travers l’histoire, la nature, la littérature et la poésie. Puis conduit à s’interroger sur l’espérance, sur la foi et sur ce qui est essentiel, ici et aujourd’hui.
Merci à Sita Pottacheruva pour l’interview dans son émisssion « Radioliteractif » sur les ondes de Radio Cité. Le podcast est ici.
Merci à Camille Andres pour le compte-rendu dans le journal Réformés (septembre 2020) :
Ma pièce de deux francs est bien là, j’ai vérifié, dans mon porte-monnaie. Pédaler jusqu’à la gare, s’arrêter devant la vélo-station, glisser la pièce dans la fente, recevoir la carte journalière, ouvrir la porte, parquer le vélo dans l’abri, marcher jusqu’au quai et boire tranquillement un café en attendant le train. Je me réjouis, avec le Covid ça fait longtemps que je ne suis pas sortie du canton, cette visite professionnelle s’annonce comme sur des roulettes.
Sauf que. L’automate à carte journalières pour bicyclettes est défectueux, il n’accepte pas ma pièce. J’espère que le type à l’autre bout de l’interphone va me débloquer la porte. Pas du tout, il me conseille de télécharger l’application ad hoc. J’obtempère. Il faut un mot de passe. Le temps passe. Saisir une deuxième fois le mot de passe pour être sûr. Forcément mon doigt tape à côté. Je commence légèrement à m’énerver. C’est bon, il est accepté. L’application doit être liée à une autre déjà installée, la Swisspass. Donc entrer son mot de passe. Je suis censée m’en souvenir ? Je le redemande. Un lien est envoyé dans ma boîte e-mail. Cliquer. Le temps passe, le train avance.
Je franchis le niveau 2 du jeu, les applications sont reliées. Je soupçonne que la machine a été bloquée exprès, pour nous faire télécharger l’application, après plus besoin de l’entretenir, la machine. Je monte les tours.
Choisir le produit souhaité : une carte d’un jour pour se garer dans la vélo station. Mode de payement ? Application Postfinance. Tiens, elle s’ouvre toute seule. Douée d’une vie propre. Mot de passe ? Je transpire. Ah oui. J’ai tout. Je présente le QR-Code, la porte ne s’ouvre pas. Je suis à deux doigts de lancer un coup de poing dans l’interphone du pauvre type à l’autre bout qui n’y peut rien. Je profite de l’ouverture de la porte de quelqu’un d’autre, certainement un être supérieurement intelligent.
Après, il faut un autocollant mais ce n’est pas comme si l’application m’en informerait. L’être supérieurement intelligent et habitué de la nouvelle procédure me sauve à nouveau. Lancer mon Iphone par terre, non, inutile. Je ne suis pas faite pour ce monde-là, j’aimerais glisser ma pièce de deux francs dans la machine ou mieux, une personne à l’accueil à qui sourire.
Je lutte contre les caisses automatiques à la Coop, je tiens à échanger avec la caissière ou le caissier. Mais il paraît que je mène un faux combat, que la caisse automatique procurera à cette personne un meilleur métier. J’ai surtout peur qu’il n’y ait plus personne du tout.
Ne suis-je pas faite pour ce monde-là où quasiment toute action nécessite trois applications ?
Ou faut-il chercher ailleurs les échanges et les sourires et la simplicité et le temps – exprès choisi avec un battement pour s’arrêter sur le quai un café à la main et non pour télécharger frénétiquement?
PS : au cas où, la vélo-station derrière la gare Cornavin ne s’appelle pas Cornavin mais Montbrillant. J’ai sélectionné la mauvaise station, voilà pourquoi la porte ne s’ouvrait pas.
Il y a des choses immuables. La tarte aux pruneaux du Jeûne genevois en fait partie, couper chaque moitié en deux avec trois générations au-dessus de la pâte. C’est ce qui reste de cette pratique qui vient de l’antiquité, jeûner pour des raisons médicales ou spirituelles, puis de la tradition biblique, jeûner en cas de guerre, de cataclysme naturel, de maladie, de deuil, par solidarité avec des répressions qui ont lieu ailleurs ou en cas d’épidémie. Peut-être qu’on devrait réellement jeûner en fait. A défaut, on se raccroche aux pruneaux, coupés en quatre, on profite de la chance qu’on a et on garde ces moments précieusement.
Il y des choses que l’on croyait immuables, mais à notre grande stupeur, non. Leur symbole aujourd’hui, c’est la plaine de Plainpalais sans chapiteau, la rentrée sans les affiches à lettres jaunes, le début septembre sans cirque Knie. Du solide, pourtant, adapté au fil du temps, plus de lions ni de girafes mais toujours autant de poésie. Mon plus beau souvenir, Dimitri et son énorme bulle de savon dans une lumière translucide et à peine perceptible. Nos parents ont grandi avec la famille Knie, nous aussi et nos enfants continuent. Je ne sais pas vous, mais moi chaque année je verse quelques larmes à la fin quand ils sont tous là à saluer, de Marie-José à la petite Chanel. On croyait cette année encore aller applaudir les hommes de pistes et respirer l’odeur du pop-corn, la plaine est vide. Bâton de bois sans barbe-à-papa.
Il y a des choses qui ne sont pas immuables et c’est tant mieux me dis-je en pédalant un peu lourdement lestée de la fameuse tarte, c’est ce qui se passe dans ma ville en ce moment avec les pistes cyclables. Cela paraissait impossible mais c’est arrivé, l’aménagement peut bouger, la répartition se modifier. D’un coup, des bandes jaunes essaimées, des vélos, de plus en plus. Ce n’est pas encore assez pour y être, dans ce monde plus local, plus humain et plus durable, il y a encore beaucoup à lutter, à défiler, à interpeller, à changer, à voter. Mais c’est déjà un pas pour voir Genève avec fierté.
C’est ainsi que j’aimerais voir les choses avancer. Evaluer,
garder ce qui est bien du monde d’avant, et sinon modifier. Courageusement. Et rapidement.
Juste là, aujourd’hui, je garde la tarte aux pruneaux, l’envie d’applaudir Knie l’an prochain, le rosé du Mandement bientôt partagé entre amies, l’espoir du monde d’après qui prend la couleur des logos jaunes des pistes cyclables.
Le 8 juin est la date annoncée officiellement par le Conseil fédéral pour la réouverture des salles de lecture des bibliothèques. Date symbolique, car dans les faits toutes les institutions n’ouvrent pas leurs portes en même temps. Une des grandes étapes du déconfinement. Accès libre à toutes les lettres de tous le mots de tous les livres.
J’ai choisi cette date pour faire évoluer ce blog. Le compteur de jours (dé)confinés s’arrête ; les publications vont s’espacer. Je continuerai à mettre en ligne au fil de l’eau et avec un immense plaisir tous les textes, poèmes ou réflexions sur un aujourd’hui et un demain autrement que je recevrai (courrier@virusolidaire.ch ).
Chère, Cher Aujourd’hui,
Je m’étais promis de t’écrire mais le temps passe finalement très vite, alors je me suis levée plus tôt ce matin. Je vais écrire un peu en vrac. Les bulles s’agitent dans tous les sens. Le confinement ne nous laisse pas indemnes. Nous sommes tellement à espérer qu’il n’y ait pas de retour à l’anormal, que demain soit autrement, et demain c’est aujourd’hui.
Un aujourd’hui humaniste, local et durable, comme le demande l’appel du 4 mai.
On nous reproche de rêver, on nous dit que le bateau doit redémarrer, n’importe comment, mais qu’il ne peut pas couler. Que ce n’est pas le moment de demander des trucs, de vouloir changer, quand la majorité de la planète se bat juste pour manger. Qu’il ne faut pas se focaliser sur les avions et sur l’aide massive sans condition qui leur est apportée (à la radio, il y en a quand même une qui a réussi à dire qu’elle ne voyait pas pourquoi il fallait exiger des conditions climatiques à l’aide à l’aviation puisque l’équivalent n’était pas demandé à la culture. Tant de mauvaise foi). Rêver, ce n’est pas supprimer les avions (ou les bananes ou les avocats dans les magasins ou ou ou) c’est utiliser moins, de manière plus réfléchie, envisager les alternatives.
Nous
pensons qu’il faut pédaler, aller au marché de produits locaux, chez les
libraires de la place. Penser autrement, inventer une économie autrement.
Évidemment que ce n’est pas simple. Mais si l’humain arrive à créer des sociétés écran dans des îles fantômes grâce à des montages inextricables et indécelables, je ne vois pas pourquoi il n’arriverait pas à être autant créatif pour imaginer des entreprises locales rentables employant celles et ceux qui ne seront plus dans le domaine de l’aviation ou la fabrication d’armes vendues en pièces détachées à des pays où les enfants qui doivent les utiliser n’atteindront jamais leurs douze ans. A partager l’espace public pour toutes les formes de mobilité, mais le partager vraiment.
Celles et ceux qui hululent contre les cyclistes depuis des jours et des jours ont-ils tous payé leur nounou/femme de ménage/personnel de maison pendant le confinement ? Ont-il précédemment toujours engagé légalement dans leurs restaurant leurs employés ? Ou contribuent-ils à faire augmenter la queue chaque samedi aux Vernets ?
Chacun.e ses paradoxes. Il ne sert à rien de reprocher aux jeunes qui luttent pour le climat d’utiliser des Smartphone. Ces jeunes bougent, nous font bouger, appellent.
Chère, Cher Aujourd’hui, je t’avais prévenu que j’écrirais en vrac. L’économie, la mobilité, la solidarité, la revalorisation de beaucoup de professions (et cela ne passe pas forcément par le salaire), le local. Du concret en vraies propositions, tu le trouveras par exemple dans le Manifeste d’Après, le réseau genevois de l’économie solidaire et sociale.
Après, c’est maintenant. C’est ici, Chère, Cher Aujourd’hui. Une partie de la population espère de toutes ses forces, de tout son coeur, debout devant toi et du bout de sa craie qui dessine des carrés par terre, un changement, un monde plus juste, un monde humain, solidaire, local et durable.
Je suis songeuse. Plutôt sur mes gardes. Et jalouse assurément. Quelque flamme farouche dans les yeux Comme l’homme armé du Moyen Âge, Le poignard d’un désir franc, Là bien visible sur la poitrine, Je veille sur le plain-chant, Autrefois pré carré à ne pas approcher, Devenu mélismes de nos liens, Neumes de nos voix, Répons d’humanité dont nous semblions défaits. Je suis songeuse, Jalouse assurément D’un grain de vie précieux. Je mets un pied dans le ciel pour qu’on ne referme pas la porte, Qu’aux croisées de nos fenêtres, nos visages s’envisagent encore, Qu’au tempérament des jours, au souci de nous voir, Une pulsion de résonance Soit le point d’orgue de ce temps. Amoureuse assurément.
Aujourd’hui je suis sensible Mes vêtements pèsent lourd, Pierres et prières, Dans chaque poche. Aujourd’hui, Je ne connais pas le chemin, Si tu étais dans la rue, Je n’aurais pas d’yeux pour toi Seulement pour les miettes Sur le sol froid. Aujourd’hui est un jour de soupirs Une nudité des mots accrochés au vent À défaut d’une bouteille à la mer. Aujourd’hui, le monde fait mal Et j’éprouve de la peine pour la promiscuité des mots. Le jour s’est levé Sans mon consentement, Sûr de sa superbe Et de sa nonchalance grivoise. Si tu étais dans la rue, Tu serais passé à côté de moi, Sans me reconnaître, Ou peut-être juste mes chaussures, Le reste de moi S’absente de ma peau, Et de ce que tu crois savoir de moi. Plus tard dans la matinée, Je me préparerai un thé, Il faut que ce soit un thé avec un nom. J’en choisis celui qui se nomme « Thé des Invités ». Aujourd’hui Dieu a quitté son chantier, Je l’inviterai à boire du thé, avec moi, Pour parler du monde Dans lequel halètent ses enfants.
La distance se socialise, l’amitié se mesure en mètre, ça me rassure. Je sors masqué, alors que le carnaval est annulé, encore une soirée TV. Dans la déprime ambiante et la surenchère scientifique, seule ma prime m’anime. Sur le balcon, mes cucurbitacées s’épanouissent, sous l’œil jaloux de mon voisin. Le soir à ma fenêtre je crie ma compassion à des personnes que je ne connais pas. Comment le monde a-t-il pu changer aussi vite ?
Depuis le 21 mai 2020, le Musée d’Art et d’Histoire ouvre à nouveau ses portes.
Je te rencontre dans la cour du Musée d’Art et
d’Histoire. Face à face. Arrêt. Tu me regardes de tes yeux de pierre, de tes
yeux qui viennent des âges les plus profonds, de tes yeux qui se sont fermés il
y a deux mille ans. De chaque côté de ta tête, un croissant de lune. Parce
qu’il y a deux mille ans, les âmes des morts allaient habiter la lune.
Tu es Sevva, fille de Verecunda. Déjà en-dehors
de l’ordinaire en ton temps, car ton prénom, gaulois, était très rare. Et particulière
encore aujourd’hui, car tu es la première fille genevoise dont on connaisse le
visage. Enfin, on le devine, le sculpteur a fait ce qu’il a pu.
A ton époque, Genève dépend de Rome et fait
partie de la Gaule narbonnaise. A ton époque, Jules César est passé ici depuis
peu. A ton époque, l’Helvétie est pacifiée, Genève n’est plus fortifiée, des
propriétaires romains construisent
de beaux domaines à Frontenex, à Saint-Gervais, à Chambésy, à Carouge et à
Chancy.
Peut-être es-tu allée au marché du
Bourg-de-four, le centre de l’agglomération. Peut-être que deux mille ans plus
tard, sur la terrasse de la Clémence, je te rencontre, rendez-vous intemporel
sur cette même place. Je bois un café avec toi, mais je ne sais rien de toi. Il
semble que tu ne sois pas née à Genève, que tu étais une pérégrine, comme ta
mère, une personne libre qui n’a pas la citoyennenté romaine, il paraît que tu
venais de Gaule ou d’Helvétie.
Tu es morte avant ta mère, qui a fait graver
pour toi une cippe. Affreux mot, stèle funéraire en pierre, qui porte une inscription, ton
nom, le sien. Il ne reste de toi que cette stèle, ton visage, vos noms, les
croissants lunaires. Verecunda l’a faite sculpter pour toi. Tu as été
transportée par la mort jusque chez les dieux et ces signes lunaires t’assurent
l’immortalité.
On t’a retrouvée en 1917, par hasard, lorsque
des ouvriers faisaient des travaux en ville. Ta stèle et une autre, avec
d’autres blocs romains, avaient été utilisés comme fondation pour soutenir le
poids d’un escalier à la rue du Marché. Tu servais de réemploi. Tu as été mise
au monde à nouveau. Puis offerte
au Musée.
Et depuis, dans un coin de la cour de ce Musée, dans cette cour tellement hors du temps, tellement hors de propos de la cité riche, un peu palais italien décadent, un peu cloître, un peu débarras aux entournures, dans cet endroit que j’aime tellement, tu offres ton visage à celui qui s’arrête et te retrouve, hors du temps. Face à face. Arrêt.
La belle Lune, Viens, sans faire de bruit Fais comme si ce n’était rien Comme si je n’avais pas de nom Comme si tout était à sa place Comme si je pouvais sillonner les chemins. Regarde, aussi longtemps que tu as besoin À cette heure, Où même la peur craint son ombre. Reste, sans pour autant être immobile, Prends ton temps, Il n’y a que la moitié de la nuit qui vient de s’écouler. Je vais laisser ma porte grande ouverte Qui sait ? Pour accueillir la respiration des étoiles, Et l’esprit d’un songe Devenu vrai.
Je me suis étendue à côté de moi sur l’herbe dans mon ombre Nous nous sommes revues chaque jour nous avions rendez-vous sur l’herbe dans notre ombre nous embrassions nos souvenirs je me retrouvais en toi tu te reconnaissais en moi
Quand la planète s’est tue, pour un virus en planque, La question est venue : qu’est-ce qui donc nous manque ? Peut-on en un instant se taire et supprimer Diners d’affaires, allures pressées et s’affaler, Sans conséquences, être éjectés hors de la danse ? Mais c’est la poisse ! Et quelle angoisse !
Pour les parents sont apparus devoirs scolaires, maths, orthographe, Dans les limites, oh, bien étroites, d’une maison ou d’un appart. Les géniteurs tout partagés entre éducateurs dévoués Et envie de distribuer gifles et baffes à la volée, Collectivement ont muselé toute expression de ces sanctions Et effacé de leur mémoire le moindre de leurs déboires.
Et pour les couples, jolies surprises Oui mon chéri, Moments bénis, Et débuts de crises Mais qui es-tu ? J’aurais pas cru ! Ces partenaires de vie-de lit tous condamnés-promiscuité Pour éviter les mises en cause, Jamais tu n’oses ! J’en ai ma dose ! Ont décidé de se cuiter : flots de paroles, sermons-serments, bouffe et alcool. L’heure des bilans viendra sans doute, en attendant on casse la croûte.
Quant aux solos, on s’organise, on minimise, solidarise. Zoom et WhatsApp et même des Skype. On dit Ca va ? Oui moi aussi ! T’as fait un cake ? Vu un remake ? Surtout, pas d’mec. Voisins balcons, rangements à fond, Pensées limaces et ciel sans traces, silence ami, on s’réjouit, D’une liberté tellement chérie. Jusqu’au moment Où vient la nuit.
Quand l’horizon se fond dans la pénombre, alors, en nombre, Grands et petits, amoureux endurcis, célibataires et transis, Saisis par un même élan de paresse, poussés par un même désir de tendresse, Silencieusement s’enroulent dans l’ombre, s’y enveloppent Et puis sombrent dans le rêve d’une étreinte Qui permettrait d’oublier craintes, cris, plaintes, passé, désirs essoufflés Dérisoires et communs espoirs d’une humanité Sous un noir voile emprisonnée.