Par Anouk Dunant Gonzenbach
Revenons sur le sujet des bornes. En bibliothèque, cette fois. Je prends celle de mon quartier, la bibliothèque municipale, un étage adulte, un étage enfant (enfin c’était avant, maintenant c’est des espaces). Les miens d’enfants, depuis qu’ils sont petits, ils empruntent des livres, participent à tous les ateliers géniaux organisés par les super bibliothécaires, se croient comme à la maison.
Et puis, insidieusement, des bornes sont apparues. Plus possible d’emprunter un livre au guichet, il faut aller à la borne. Comme drillés, les bibliothécaires, il me semble à contre-cœur souvent. Peut-être qu’on leur a dit que cela libère du temps pour d’autres tâches, comme la médiation culturelle, le graal du graal. Je soupçonne quand-même que derrière tout ça, il y a une pensée un peu économique, quand il n’y aura plus que des bornes, ça fera des sacrées économies de personnel. La pire des dystopies : petit à petit, comme dans les grandes surfaces, comme face à l’automate My Post 24, nous serons face à des machines et plus à des êtres humains. Et il n’y aura plus de vrais bonjour-aurevoir.
L’importance d’une bibliothèque municipale, donc de proximité, moi j’ai toujours cru que la base, c’était un échange entre, disons, un enfant qui rend un livre, qui dit ce qu’il en a pensé, qui demande un conseil, qui est tout content parce que la bibliothécaire qui le connaît depuis qu’il a deux ans va chercher le bon livre, puis recommande à l’enfant suivant ce que le précédent a bien aimé. L’enfant, maintenant, il se retrouve face à une borne.
A l’étage du bas, aux adultes, moi je triche. Parce que je les aime bien, mes bibliothécaires. Au fil du temps, on se connaît, on se refile des tuyaux de vacances au moment d’emprunter un guide, ils et elles me font découvrir de nouvelles parutions. Alors je triche, je ne vais pas à la borne. J’ai l’impression de faire un acte rebelle. Je revendique l’importance de rencontrer une personne humaine plutôt qu’un écran. Envers et contre tout, je continue de penser que la meilleure des médiations, à la bibliothèque, c’est un échange entre deux personnes.
Paru dans La Tribune de Genève, Lettre du jour, 21 octobre 2023