Par Anouk Dunant Gonzenbach
L’objet se décline en couleurs pastel et goûts de l’enfance. Ses concepteurs, évidemment malins, l’ont produit satiné, agréable à caresser, le design super bien pensé. On dirait un petit stylo, d’ailleurs les parents et profs pensent que c’est un petit stylo. Ou une nouveauté geek de jeune gamer, qui donnerait presque envie de se mettre à jouer. Le tenir en main est déjà une sensation qui fait plaisir. Il ressemble à tout sauf à ce qu’il est : la nouvelle version de la cigarette électronique. Son nom : le puff.
Jetable, quasiment invisible à détecter, fumable partout en continu, en classe, dans les couloirs du cycle, dans sa chambre. On se le procure au kiosque en face de l’école primaire, au rayon sucettes. Une dizaine de francs la pièce, 600 taffes, le vendeur n’est pas regardant sur l’âge de l’acheteur, qui d’ailleurs le fauche souvent.
L’enfant, l’ado, suçote ensuite sans s’arrêter ce biberon, qui contient 5% de nicotine. Puis il le jette à la poubelle en revenant des cours, pas de risque que le parent tombe sur la cigarette électronique rechargeable (ou le paquet de cigarettes de l’époque) planqué dans la pile de caleçons. Quand il vape, pas de fumée et les adultes autour n’y voient que du feu, on est en retard de trois guerres comme d’habitude depuis que le monde est monde, et je suis en colère. C’est comme d’utiliser les dernières découvertes de la psychologie pour rendre les ados encore plus accros aux jeux en ligne, de développer cet objet diabolique pour les rendre dépendants à cette substance psychotrope.
Le puff ne rentre pas dans le cadre de l’initiative « Oui à la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le tabac » car ce n’est pas du tabac. Dedans (mais ce n’est pas fait pour être ouvert, puisqu’on le jette après usage), il y a une batterie, une résistance qui fait corps de chauffe, une petite led qui s’allume quand on aspire et une sorte de ouate imbibée de sirop de glycol et de nicotine. Catastrophe écologique.
Un biberon à la nicotine. On le tète sans pause et on le jette. Marshmallow et sirop de fraise, tétine et douceur, addiction et tête de mort.
Publié dans La Tribune de Genève, Lettre du jour, 8 février 2022.