Par Anouk Dunant Gonzenbach
La nature en liberté
Aller courir seule et ne croiser personne ou alors faire un détour de deux mètres, ça a l’air ok, alors je continue. Tôt le matin. La première personne que je vois au loin, un collaborateur de la Voirie qui vide des poubelles jaunes. Je pense qu’on devrait aussi les inclure dans les applaudissements de 21h, les employés de la Voirie. Les poubelles ne peuvent pas s’accumuler. La salubrité publique en dépend.
J’atteins le bord du Rhône. En une heure, j’aurai croisé cinq personnes, de loin. Trois au visage fermé, imperméable à tout bonjour de loin, regardant droit devant imperturbablement. Et deux femmes à intervalle de vingt minutes, qui courent aussi, on se fait un sourire, et dans ce sourire il y a tout. Rarement vécu un tel sourire.
Les oiseaux s’en donnent à cœur joie. L’impression est plus puissante que jamais : ils n’ont pas besoin de nous, la nature n’a pas besoin de nous, juste là sur ce petit chemin de terre pas très urbain mais pas loin, on entend les pics, plus les avions. Les piverts font résonner les troncs, rien n’interfère.
Un ciel vide de machines et de bruits de moteurs. Les milans qui planent. On disait jusqu’à vendredi passé que la poésie est ce qu’on peut entendre dans le bruit, dans le vacarme du quotidien. Là, la poésie explose sur le sentier, sur le fleuve, le long des troncs, en silence.
Brièvement. Car le retour au bitume n’est pas très poétique, il y a cette fichue réalité qu’on ne sait pas comment appréhender.
Les oiseaux, eux, continuent de chanter. Le bruit du printemps, le vrai.
publié le 19 mars 2020