par Anouk Dunant Gonzenbach
1988, j’ai quatorze ans et j’assiste en famille à l’inauguration du Musée de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, je pense que je vais m’ennuyer pendant les discours. Puis là, en bas, au milieu de ce grand espace d’exposition, je rentre dans une minuscule pièce noire. De la taille d’une cellule de prison, une de celles visitées par les déléguées et délégués du CICR. Là-bas, douze prisonniers s’entassent dans ces trois mètres carrés dans des conditions inhumaines. Je ressortirai de cette expérience en n’étant plus tout-à-fait la même. Depuis, des milliers et des milliers de personnes ne sont plus ressorties les mêmes de ce musée.
Le musée de la Croix-Rouge, c’est d’abord l’histoire, cette histoire qui nous définit, depuis laquelle nous affirmons la vocation internationale de la Suisse de notre cité, que nous portons dans les veines de notre ville comme le cœur battant de l’esprit de Genève, de ses valeurs d’humanisme. Cette histoire qui fait que Genève a pu déborder sur le monde, selon les mots de Robert de Traz. Le musée de la Croix-Rouge en est la racine, près d’un Palais des Nations en lequel nous devons croire plus que jamais. Le faire disparaitre ou le replanter ailleurs n’a aucun sens.
Mais ce musée, ce n’est pas que l’histoire. C’est surtout une fenêtre sur le travail titanesque et humble, accompli au quotidien à hauteur d’humain par les déléguées et délégués du CICR à travers le monde, par les bénévoles des Croix-Rouges locales. Ce musée honore celles et ceux qui ont donné leur vie pour les autres, qui en ont aidé d’autres à rester en vie. Il expose des valeurs humanistes et humanitaires mises en action et leur donne une visibilité indispensable.
Le musée de la Croix-Rouge est un formidable déclencheur à l’ouverture sur la souffrance d’autrui – comme cette expérience dans la cellule de prison, au développement d’une sensibilité pour le vécu de l’autre, à la compassion, l’une des plus nobles vertus du monde comme l’écrivait Henry Dunant. Percevoir la douleur d’une personne, se faire du souci pour elle, toujours avancer dans le sens de la dignité humaine, transmettre un brin de fibre humanitaire et ces valeurs de base, voilà tout le sens de ce musée.
Le musée de la Croix-Rouge pourrait mourir en silence, si on ne fait rien. Faire mourir ce musée, c’est faire mourir une seconde fois dans un silence assourdissant les voix de celles et ceux qui au quotidien sont emprisonnés dans des conditions inhumaines, persécutés, déplacés, qui dorment dans leur voiture parce qu’ils n’ont plus rien juste à côté de chez nous.
Aujourd’hui, le combat est inégal entre les abominations commises et le pouvoir quasi inopérant des instruments du droit international humanitaire. Mais il existe, et la Suisse en est la dépositaire. Aujourd’hui, il nous appartient de toujours nous retrousser les manches, agir autour de nous et œuvrer pour un monde meilleur. Le musée de la Croix-Rouge en est l’essence et doit continuer à faire déborder ces valeurs sur le monde.
Paru dans La Tribune de Genève, « L’invitée », 25 février 2025.