Par Anouk Dunant Gonzenbach
Les baskets aux pieds et le téléphone fixé sur le bras, toujours reconnaitre sa chance d’habiter Saint-Jean et d’accéder en peu de pas au bord du fleuve. Traverser le pont, monter, redescendre, passer sous l’autre pont, sentier de terre. Les modestes foulées semaine après semaine, saison après saison, l’eau toujours d’un reflet, d’un niveau, d’un bleu ou d’un vert différents, la nature bourgeonne puis s’effeuille, le Rhône et l’Arve se joignent inlassablement mais jamais pareil.
En face, les campagnes du seizième siècle, ce qu’il en reste, celle que nous aimerions aménager en parc public, celle du petit garçon à la mèche qui un jour en rêve s’est promené avec l’éléphant Saphir du zoo voisin (ne mélange pas la poésie et l’actualité, va, oui je sais, mais qu’est-ce qu’on serait bien dans ce parc).
Reste dans tes baskets, de l’autre côté. On entend braire l’âne, quand-même. Parfois les tirs. L’arrivée en bas du champ est spectaculaire, à chaque fois. Le givre sur les brins d’herbe au rayon du matin, les fleurs du printemps renaissant, exceptionnellement les biches au loin, régulièrement le pataugeage dans la boue, ça pacote sous l’Asics. Plus loin, les marches en terre du chemin sont fermées depuis plusieurs mois, cela ne change rien pour les hérons mais nous coupe dans notre élan, alors on fait le détour. Monte et descend, ça rallonge, mais c’est bon pour la santé.
Et découverte. Un salon des bois, quelques souches comme siège, un tronc pour table. Et des fleurs rouges. Pimpantes, éclatantes dans le gris d’un matin sous stratus. Géraniums sur les meubles de la forêt. Un ange ? une performance secrète de la ville ? Les semaines s’enchainent, les mollets progressent dans ce détour en pente, les fleurs magiques, fraiches, plantées, renouvelées. Eclats de rouge qui illuminent yeux et cœur pour la journée.
Et un jour, peut-être est-ce à nouveau en rêve, le jardinier. Fauche l’herbe haute, taille le fané, pourvoit de nouveaux plants. Un résistant de la banalité, une mission auto-attribuée, un message à faire passer, un espace à protéger, un cadeau au monde entier ?
Un poète de la terre, assurément.
Janvier 2025
Paru dans Quartier-Libre n. 132, printemps-été 2025