Par Anouk Dunant Gonzenbach
Nous nous sommes tellement manqués
Un petit garçon en ciré jaune avec un cartable sur le dos, il tient la main de son père, sous la pluie, sur le chemin de l’école. Je descends la même rue sur mon vélo, sous ce même déluge, les dépasse, et subitement il pleut aussi dans mes yeux. Nous sommes le lundi 11 mai 2020. Depuis huit semaines, les rues tristes sont vides d’enfants, les cloches des écoles résonnent dans le vide, le ballon coloré ne rebondit plus malencontreusement au milieu de la route. Ce matin, c’est comme un coup de ce ballon qui percute ma poitrine, me coupe le souffle, me paralyse un instant. Les enfants sur le chemin de l’école, le matin, ça m’avait tellement manqué.
Les restaurants s’entrouvrent, ré-ouvrent. Deuxième jour. Penser ne pas tenter, essayer, se lancer, réserver, oser, salle à manger aux impressions de château avec tout cet espace autour. J’étais habituée à ce lieu, pourquoi ne pas continuer. Revoir les serveuses, les serveurs. Ce n’est pas un coup de marketing de leur part, ce plaisir de se retrouver qui fulgure dans les yeux, ce n’est pas pour de faux, ce coup du ballon coloré dans mon plexus à nouveau, ce n’est pas convenu, nos sourires, demandes de nouvelles, joie réelle. Nous nous étions manqués.
Mercredi, troisième jour de cette étape majeure de déconfinement, jogging du matin tôt, au retour de la jungle du bord du Rhône, le passage piéton. Surtout, la patrouilleuse scolaire. Qui est là. Comme avant. Comme avant, quand on se lançait un bonjour, comme avant, où l’on échangeait un bref sourire, comme avant, quand tout cela semblait bien banal. Il s’en est fallu de peu qu’on se serre dans les bras, avec cette femme, que je ne connais pas plus que cela. Et pourtant. Nous nous étions tellement manquées.
Petits liens du quotidien, images qui déroulent la journée, balises toujours crues acquises, vous m’aviez tellement manqué.
Publié le 14 mai 2020