Par Denise Mützenberg
Visite pascale
Depuis quelques jours j’ai une colocataire
Pourtant je m’étais faite à cette solitude
j’étais libre d’aller et venir en pyjama
jusqu’à point d’heure
entre l’ordinateur et le balcon
d’est en ouest
entre les amis virtuels, tout proches, et les autres lointains
de l’autre côté de ma petite vallée
Depuis longtemps
plus de baisers, plus d’accolades, plus d’approche
on en venait à oublier la tiédeur des vivants
Et soudain
cette visite inopinée !
Confinée avec moi ?
D’où venait-elle ?
ma porte était fermée
C’était Vendredi-Saint
J’écoutais la Passion selon Saint-Jean de Bach
et tout à coup
elle a été là, tout près
me disputant la couverture du disque sur lequel
je suivais le texte en allemand
comme la chatte de ma sœur couchée sur son cahier, ses livres, ses papiers
Autrefois je l’aurais chassée
mais cette fois
dans ce manque de présence réelle, de corps en mouvement
je n’ai pu m’empêcher de l’accueillir
en riant intérieurement
de ma mansuétude presque attendrie
Libre, se moquant des interdits,
elle vivait sa vie à elle, allait et venait sans s’occuper de moi,
apparemment du moins
Aimait-elle Bach ?
Plongée dans ma musique je n’ai pas vu qu’elle s’éloignait
Le soir tombait
Où était-elle ?
Quelle surprise un peu plus tard en entrant dans la salle de bains
de découvrir qu’elle m’y avait suivie
la coquine !
Etait-elle en train de s’apprivoiser ? de m’apprivoiser ?
Allait-elle partager mon confinement
jusqu’ à la fin ?
Aujourd’hui c’est Pâques
elle est toujours là
compagne discrète
tournoyant près de ma fenêtre
tandis que j’écris ce texte
Et je me surprends à me demander
avec une ombre d’anxiété :
Ça vit combien de temps
les mouches ?
Jour de Pâques 2020
publié le 13 avril 2020