Ce soir, nous chanterons aux balcons. Poèmes
Par Gabriella Baggiolini:
Duveteuse améthyste
Une anémone pulsatille
Exerce son empire
Sur l’herbe naissante
Mémorable îlot de beauté
Dans nos vies bouleversées
Ce soir nous chanterons aux balcons
Par Eric Golay:
Ah, ce qui nous arrive…
Collectif !
C’est rare qu’on pense tous à la même chose !
Privilège – si l’on veut.
Désœuvrés
Alors on secoue ses vêtements
Il y a des mots qui tombent
Tout prêts
Ou peut-être des lettres
(On dit : « Il a des lettres » ; on ne dit jamais : « Il a des mots »)
Les lettres, ça permet beaucoup de choses ; les mots,
C’est plus attendu.
« Confiné ; j’ai fait ci ; j’ai fait ça ; je me sens ci ; je me sens ça ; »
Les chiens
Ne vivent jamais dans un univers restreint
Parce qu’ils ont les odeurs
Pas besoin des lettres, ils sont informés
Ils s’en foutent d’aller loin
Ils vont même chercher leur collier
Pour vous l’apporter, contents d’être tenus en laisse.
Mais est-ce que nous, nous n’aimons pas aussi être tenus en laisse ?
L’emploi, les relations, le salaire, l’estime que l’on reçoit, être aimé.e.é.e.é.e
Liberté ? le bouchon sur la mer
Ah mon dieu, ce qu’on devient con avec ce confinement !
Menace
Oui, quelque part
Panique à l’idée qu’on pourrait être de la prochaine charrette
Ou nos amis
Ou nos proches
Vite balayée
Non, tout ira bien
On s’enferme et tout ira bien
On croise de plus en plus de museaux blancs
On est une menace pour ces croisés
Ils vous évitent, ils ne parlent pas.
On est l’ennemi
Vite, sortir du supermarché
(Ou ne pas y aller, si le baromètre indique plus de 65 ans)
Légumes que d’autres ont touchés
Emballages postillonnés
Eternuement toujours possible
Et le chariot, et le caddie
L’héroïne des caisses,
La fliquette, l’infirmière,
Le chauffeur, le livreur
Sans qui l’on ne vivrait pas
Hommage ! Hommage !
En attendant, on leur crève les pneus
On se méfie d’eux
On dénonce ceux qui trompètent sur leur balcon
Sous le tapis du confinement, les cloportes, les minables, ça existe toujours.
J’allais parler du Soleil
Mais tout le monde sait ce que c’est.
Le soleil brille, pour nous ce n’est plus pareil, mais lui, il s’en fout
Il s’en fout et il brille
Il a bien raison de briller, c’est son boulot
Quand il n’est pas là, c’est encore pire
Parce que l’heure de promenade, sous le Soleil, c’est une con-solation.
Je pense à ceux, pardon, celles et ceux, qui n’en ont pas
En Belgique sans doute, où il est plus radin
(Et la pluie qui est là pour emmerder les gens)
Ah, je deviens romantique ! Arrêtons-nous là !
Gabriella Baggiolini et Eric Golay sont deux poètes publiés aux Editions des Sables . Ces dernières mettent à disposition pendant la durée du confinement plusieurs recueils en ligne gratuitement, à trouver ici.
publié le 6 avril 2020