Par Linda Diatta
Le premier mot
Et si rien ne venait jamais ?
Eperdu, il attend, assis sur son banc.
Il a pourtant fait tout comme il fallait.
Inspiré longuement, expiré tout autant.
Regardé au-dedans.
Il est vite revenu
Sans doute effrayé
Par ce qu’il avait trouvé.
A défaut d’encrier, il a vidé une à une
Toutes ses cartouches
Puis a trempé le doigt dans l’encre bleue
Et a tapoté la feuille blanche devant lui.
Des taches aux formes étranges sont apparues,
Mais aucun mot.
Le silence absolu.
Il a tout déchiré, puis fermé les yeux.
Imaginé un océan infini
Il partait à l’abordage ; après, on verrait bien !
Mais après, rien n’est venu
Le monde s’était tu.
Alors il s’est levé,
Et contre toute prudence,
Il est sorti de chez lui.
Il a couru
Puis a échoué là, sur ce banc.
Les rares promeneurs et leurs chiens le contournent,
A deux bons mètres de distance.
Un chat roux chasse dans le talus en-dessous,
A pas feutrés, les oreilles pointées.
Le soleil de mars chauffe sa nuque ;
Un quart de lune l’observe, curieux.
Les canards, posés sur l’eau comme des flotteurs,
Engoncés dans leurs plumes,
A un mètre les uns des autres,
Semblent eux aussi respecter la distance de sécurité.
Mais dans un bosquet voisin,
Le concert a déjà commencé.
Chacun rivalise, lançant pêle-mêle sa plus belle trille.
Il ne reconnaît aucun chant d’oiseau.
Ça le rend triste.
Ça sent le printemps.
Et pourtant…
La bise souffle fort,
L’eau ridulée semble remonter le canal.
Une mouette moqueuse ricane au-dessus de lui,
Planant dans un courant ascendant.
Et lui ?
Il n’écrit toujours pas.
Sa main refuse.
Il ne supporte plus le silence assourdissant des mots dans sa tête.
Et si rien ne venait jamais ?
Pourquoi s’entêter, rester là à attendre ?
Les branches des saules alentour jouent les instruments à vent,
Entre les mains de géants invisibles.
La bise a emporté au loin
Légère plume de papier
Une feuille de son cahier.
Vaine messagère,
Sa plume à lui est tombée aux pieds du banc.
Il ne sait plus.
La tête entre ses mains, il s’abandonne, enfin.
Alors, sur sa joue, une larme a coulé.
Petit point sur son poing fermé, elle est venue s’écraser.
Il l’observe sans mot dire.
Un point.
Pourquoi ne pas commencer ici,
Là où tout finit d’habitude ?
Deux larmes silencieuses ont rejoint la première.
Trois petits points.
Comme eux, il est en suspension.
Il attend.
Il sent que ce n’est que le début ;
Il a ouvert les vannes
Soigneusement fermées tout ce temps.
Après les larmes,
Qui sait ?
Peut-être viendront les mots.
Peu à peu
Une image se dessine.
Il n’ose d’abord bouger, de peur de l’effrayer.
Alors lentement, il saisit sa plume, son cahier abandonné
Et trace quelques timides traits sur le papier.
Ce sera son premier mot :
ESPOIR.
publié le 7 avril 2020