Par Anouk Dunant Gonzenbach
Une période suspendue comme un petit manteau au vestiaire de l’école
Une parenthèse, un moment suspendu. Pour ceux qui ne sont pas au front, pour ceux qui ne participent pas en mettant en jeu leur santé ou qui ne risquent pas leur situation. Suspendu. C’est le mot qui me vient. Je me sens comme un petit manteau d’enfant accroché au vestiaire en-dehors de la classe. Rien à faire en attendant la récréation ou la fin de la classe.
Rien à faire de normal, parce que à faire, il y a, frénésie de télétravail, de support aux devoirs, de coach de cuisine, tant qu’à faire putzer le placard à fond, paniquer car on n’arrive pas à suivre tous les podcasts, toutes les pièces de théâtres libérées sur la toile, tous les documentaires, fatiguer de parler encore et encore au téléphone en remarquant que c’est bien plus énergivore que de juste parler lors d’une journée normale, ne pas paniquer si la vérité sur soi ne nous apparaît pas là au milieu comme il paraît que ça devrait, puis lâcher et rester assise sur une chaise, devant la fenêtre ouverte, avec le soleil qui réchauffe la peau à travers le tissu du jeans, le regard dans le vide.
L’essentiel viendrait-il à nous ainsi, mais qu’est-ce que l’essentiel. La santé, l’économie afin que personne ne soit dans la rue, la solidarité, la protection des plus faibles, mais sont-ils seulement là où nous l’imaginons, je ne suis pas assez armée intellectuellement, économiquement et politiquement pour prétendre avoir un propos (à part que pitié, ne déconfinez pas les adultes avant les enfants), je pendouille comme la petite veste d’enfant accrochée au vestiaire en dehors de la classe alors que la cloche n’a pas encore sonné.
Alors à toute petite échelle, à cette hauteur de banc d’école, remarquer les petites bulles en couleur. La petite fille qui glisse un dessin dans la boîte aux lettres de sa voisine, infirmière, qu’elle a soigneusement roulé et attaché avec un ruban, au lieu de le rendre à sa maîtresse comme prévu, parce qu’elle s’est dit avec ses mots que le circuit court serait plus porteur, et ça lui a fait chaud au cœur, à la voisine infirmière, qui vit des moments pas tellement en couleurs. Ces fameux applaudissements de 21h00, qui ne faiblissent pas, maintenant les gens se souhaitent la bonne nuit d’un immeuble à l’autre, fidèles au poste, et ces « bonne nuit, à demain » échangés éclairent la nuit. Bien sûr que pas tous ne pensent au personnel soignant, mais beaucoup quand même, et c’est du lien, de toute façon. Les commis pour les voisins, les repas offerts, tout ça, et tout ce que Thierry Mertenat met en lumière dans la Tribune, à hauteur de Genève.
Tous ces petits gestes humains, minuscules, petites bulles comme un lâcher de ballon qui s’élance vers le ciel. Un ciel bleu silencieux et pur de toute balafre blanche.
publié le 8 avril 2020