Par Anouk Dunant Gonzenbach
Confusion, mains sèches et Thomas Wiesel
Déjà je vais avancer de deux jours le compteur des titres ci-dessus, parce qu’il ne faut pas les négliger, ces deux premiers jours de confinement, ce premier week-end, les écoles avaient fermé mais pas encore tout le reste, et déjà on était beaucoup à avoir annulé toute activité sociale et on ne comprenait pas bien ce qui était en train de nous arriver et on ne comprend toujours pas bien.
Des hauts, des bas, de la clarté, de la confusion. La tête dans le guidon d’un moment historique. Le sentier du bord du Rhône devient sale pourquoi le gens ne ramassent plus toutes les crottes de chien. Je n’ai que que que à rester à la maison, pas au front, les images des réseaux sociaux on n’en peut déjà plus, et au milieu, des numéros d’urgence pour ceux pour qui c’est intenable de rester à la maison, il y a ceux qui appellent, ceux qui ne peuvent pas, ceux qui n’y arrivent pas. Penser à ceux qui vivent l’enfer.
Tu épures les relations de réseaux, tu n’arrives plus à suivre l’actualité, les actualités, le vrai, le faux, le bleu de la Tribune devient ton repère, la Julie est ton point fixe, tu ne sais plus comment lire, là au milieu Thomas Wiesel te fait rire et tu lui en es reconnaissante et tu admires ses analyses. Tu changes d’onglet, tu reviens à tes mails professionnels, le téléphone sonne, c’est la prof de latin, ton rejeton n’a pas rendu son devoir sur Classroom. Les profs deviennent fous, ils se donnent, les parents deviennent dingues, tu as viré l’image avec les enfants scotchés par terre à côté de la mère qui télétravaille, tu n’aurais pas dû, tu ne sais plus. Juste que tu es privilégiée. Un drapeau avec un coeur flotte sur les Bains des Pâquis, tu ne l’as pas vu en vrai, c’est trop loin, hors de portée, seulement quelques coups de pédales pourtant.
Il téléphone, ils téléphonent, nous téléphonons, nous nous rencontrons électroniquement, nous pompons de l’énergie nucléaire, nous sommes pompés, fatigués. Nous rêvons d’un lendemain meilleur, tu ne peux pas t’empêcher de te dire attends que les magasins ne soient plus approvisionnés, tu vas voir où elle sera, la solidarité. Tu n’as aucune confiance en la bonté de la nature humaine, il restera des bulles d’espérance, une minorité. Mais chacun espère que tout va changer. Tout va changer, ou bien, c’est moins que certain, on s’échange des photos pathétiques de pain maison.
Nous applaudissons à 21h00, il paraît que ça fait du bien en vrai a dit une connaissance en terrain hospitalier, alors on continue. Les analystes disent que ça crée un rituel, que c’est normal, ils disent que chaque crise a besoin de héros, ce fut les soldats de la guerre, les policiers de Charlie, là c’est nos soignants. Immense respect. Aussi pour ceux qui tiennent la ville, les collaborateurs de la voirie, les assistants sociaux du service de protection des mineurs en télétravail, la police, le personnel de la vente et de la production, ceux qui font pousser les légumes, les journalistes, les services industriels.
On est en pleine confusion, tu as les mains sèches, vous êtes un danger pour moi, je suis un danger pour vous, j’aime la remarque de Samia Hurst, c’est de la distanciation physique, pas sociale, j’ai les mains sèches, il y a des moments de creux, des hauts, des bas, de la confusion, de la clarté, dimanche.
publié le 29 mars 2020