Par Marc Desplos
Le jour d’Après
Et puis,
Il y eut le jour d’après
D’après l’événement,
Celui qu’on avait attendu, sans trop savoir,
Au fond,
Ce qu’on attendait,
Ce qu’on en attendait,
Le jour d’après,
Qu’on avait maintes fois fantasmé,
D’abord dans des sueurs épaisses et lourdes,
Puis dans des rires, des rêves, ou des alcools plus éthérés,
Le jour d’après,
Qu’on voyait comme un jour nouveau,
Un jour de renouveau.
On s’était dit qu’à présent,
Rien ne serait plus pareil,
On s’était dit –
alors que le temps et l’espace étaient comme suspendus
alors que le monde s’était comme arrêté
que les barils s’étaient vidés ou entassés
alors que notre corps habituellement faussement rythmé et cadencé,
à présent confiné,
se prélassait et libérait du temps pour penser
pour ne rien faire
d’autre que penser
ou contempler
– On s’était dit que les images entrevues de villes ou de montagnes
Serties d’éclaircies éblouissantes, rutilantes, et inconnues
Perdureraient,
On s’était dit que rouler comme des cons dans des SUV,
Autour du lac, ou le long des cols,
Faire la queue dans des aéroports immenses pour croquer un horizon
Déjà googelisé sur le sofa de la maison,
Ce n’était peut-être plus ce qu’on devait nommer l’Aventure,
On s’était dit que pour 39 francs on pourrait toujours aller faire du shopping à Barcelone,
Bronzer ses fesses à Ibiza,
Mais qu’on pouvait aussi boire une bouteille de vin entre amis dans le pré d’à côté,
Ce pré jamais entrevu auparavant,
On s’était encore dit qu’une sobriété, heureuse,
Qu’une ivresse de la lenteur,
Qu’une chose, encore difficile à nommer,
Existaient,
Que c’était là,
À portée de mains,
Que le jour approchait,
Que nous avions subi d’abord,
Mais qu’à présent, c’était devenu nôtre,
Que ce qui se passait, d’abord autour de nous,
Puis en nous, nous appartenait à présent,
Que ça pouvait changer,
Que cela devait changer,
Que le murmure des oiseaux, c’était aussi un chant,
On s’était dit qu’on valait mieux que tout ça,
Que nos enfants aussi,
Que ce rythme qui vibrait en nous,
Vibrait d’abord et depuis longtemps à notre insu,
Que ce n’était pas le nôtre,
Qu’il venait de l’extérieur, d’ailleurs,
D’on ne savait où,
Qu’on pouvait à présent vibrer autrement,
Que nos corps pouvaient vibrer autrement,
Que notre âme pouvait vibrer autrement,
Que notre pensée même pouvait vibrer autrement,
Que le tambour de nos existences était capable d’un autre son,
Et que le vacarme ambiant pouvait encore devenir chant retrouvé
Que le romantisme anti-patronal n’était pas que lyrisme désuet
Que la beauté pouvait retrouver une place,
Fragile, précaire, mais une place,
A côté de nous,
En nous.
Bien sûr, il y a celles et ceux qui voulaient reprendre
Il y a celles et ceux qui devaient reprendre
Il y a celles et ceux qui souffraient
Celles et ceux qui n’avaient plus rien
Celles et ceux qui déjà n’avaient rien, et qui avaient encore moins,
Celles et ceux qui n’avaient pas pu connaître le luxe de la pensée libérée
Celles et ceux qui avaient des responsabilités
Dans la vraie vie
Celles et ceux qui déjà se résignaient
Pour de bonnes ou de mauvaises raisons
Parce qu’il faut bien, et que, bon, on n’a pas le choix
– Il n’empêche
Durant un mois, un petit mois,
Il y eut une brèche
Une brèche suffisamment large pour accueillir
Autrement celles et ceux qui le désiraient,
Et qui, peut-être, le désirent encore
Et refusent avec force – ou légèreté-
L’héritage trop maigre de la seule nostalgie.
*
Ce texte fait partie du projet «Paroles d’espérance en temps de crise. La voix de la poésie ».