Par Gabriella Baggiolini
Au carnaval des confinés
Bientôt tous en scène
Paroles encapsulées
Sous nos masques de papier
Le cœur au bord des yeux
Regards revolvers
Ou regards baiser
Nos sourires à réinventer
publié le 17 avril 2020
Par Gabriella Baggiolini
Au carnaval des confinés
Bientôt tous en scène
Paroles encapsulées
Sous nos masques de papier
Le cœur au bord des yeux
Regards revolvers
Ou regards baiser
Nos sourires à réinventer
publié le 17 avril 2020
Par Mladenka Perroton
Bains des Pâquis
Entre moi et Bains des Pâquis
Un lac
Un ponton
Une rangée d’escaliers
Un portail
Une chaine et
Un cadenas.
Mais je ne sais pas à qui le dire.
Entre moi et Bains des Pâquis
Fantômes
Jet d’eau
Jet d’encre
Poèmes qui sauvent,
Sauve-qui-peut.
Entre moi et Bains
Bains à l’aube
Bains de jour
Bains de soir
Bains de nuit
Entre moi et Bains des Pâquis
La vie
M’attend
Enveloppée dans le printemps.
07.04.2020
publié le 16 avril 2020
Par Françoise Favre-Prinet
Voilà, c’est comme ça aujourd’hui:
tout ce qui est convenu ne tient pas, ne me tient pas,
ne m’aide pas à résister.
Tout est brouillé dans la poussière
sur laquelle je me penche pour tracer
de nouveaux signes.
Sous mes doigts, dans ma paume,
je la sens douce et chamottée
elle m’inspire… j’ai le temps d’essayer.
Si l’à-quoi-bon se cache
derrière presque tout,
se jette soudain à mon visage –
et pire, à mon coeur! -:
balayé!
Ce n’est pas un déni,
la conscience est claire:
il y a la détresse du monde et moi face à elle,
elle est le poing, je suis le ventre,
je ploie.
Au pied de l’escalier fleurit la giroflée,
la beauté me considère
je suis son obligée.
publié le 15 avril 2020
Par Lakan, 14 ans
La joie de l’enfermement
Les nombreuses activités des hommes ont cessé.
Ainsi que leur énorme et toxique pollution.
Il y a de la gaité dans cette réclusion.
La planète chante, à présent, d’une voix euphorique
En remerciant le virus tant détesté
De lui accorder une pause si bien méritée.
Je me retrouve à la maison sans but précis,
A part dessiner pour montrer ce que je vis.
Mes livres m’appellent et je compte bien leur répondre
Même si la situation est à se morfondre.
Mais étonnamment, ce n’est pas pour me déplaire,
Car c’est dans l’ennui que l’imagination se terre.
Mon encre est ma pensée, mon stylo en est la clé
Nous sommes confinés, mais pas pieds et poings liés.
publié le 14 avril 2020
Par Denise Mützenberg
Visite pascale
Depuis quelques jours j’ai une colocataire
Pourtant je m’étais faite à cette solitude
j’étais libre d’aller et venir en pyjama
jusqu’à point d’heure
entre l’ordinateur et le balcon
d’est en ouest
entre les amis virtuels, tout proches, et les autres lointains
de l’autre côté de ma petite vallée
Depuis longtemps
plus de baisers, plus d’accolades, plus d’approche
on en venait à oublier la tiédeur des vivants
Et soudain
cette visite inopinée !
Confinée avec moi ?
D’où venait-elle ?
ma porte était fermée
C’était Vendredi-Saint
J’écoutais la Passion selon Saint-Jean de Bach
et tout à coup
elle a été là, tout près
me disputant la couverture du disque sur lequel
je suivais le texte en allemand
comme la chatte de ma sœur couchée sur son cahier, ses livres, ses papiers
Autrefois je l’aurais chassée
mais cette fois
dans ce manque de présence réelle, de corps en mouvement
je n’ai pu m’empêcher de l’accueillir
en riant intérieurement
de ma mansuétude presque attendrie
Libre, se moquant des interdits,
elle vivait sa vie à elle, allait et venait sans s’occuper de moi,
apparemment du moins
Aimait-elle Bach ?
Plongée dans ma musique je n’ai pas vu qu’elle s’éloignait
Le soir tombait
Où était-elle ?
Quelle surprise un peu plus tard en entrant dans la salle de bains
de découvrir qu’elle m’y avait suivie
la coquine !
Etait-elle en train de s’apprivoiser ? de m’apprivoiser ?
Allait-elle partager mon confinement
jusqu’ à la fin ?
Aujourd’hui c’est Pâques
elle est toujours là
compagne discrète
tournoyant près de ma fenêtre
tandis que j’écris ce texte
Et je me surprends à me demander
avec une ombre d’anxiété :
Ça vit combien de temps
les mouches ?
Jour de Pâques 2020
publié le 13 avril 2020
En 2017, je lisais ce texte aux Bains des Pâquis, à l’aube du dimanche de Pâques. En ce dimanche de Pâques particulier, un sens renouvelé.
Ressuciter, c’est pour bientôt ?
L’aube de Pâques, dans
l’espérance de la Résurrection.
Et pour moi, ressusciter, quelle signification ?
Jésus l’a fait une fois, et c’est bien comme ça.
Mis à mort, dans un acte de
pure violence, sous les yeux de tous
Il a ressuscité par amour, discrètement.
Le grand renversement, jusqu’au bout de sa vie et complètement.
Marie court, elle a vu le
retournement, elle ne comprend pas
Mais elle sait
Et moi, bien après Marie, comment aborder la Résurrection ?
D’abord
Le tombeau vide, une mauvaise surprise au prime abord
Un abandon ? non.
Depuis ce tombeau vide de ce qui l’a rempli
Le vide accouche de la plénitude
Accepter ce vide désarçonnant et angoissant
Accepter ce vide au fond, c’est enlever la pierre
Découvrir le lieu intime, à l’intérieur,
Où il y a de la place, où je fais de la place, où peut-être est Dieu
Qui pour cela a ressuscité une fois, et c’est bien comme ça
Marie court, elle a vu le
retournement, elle ne comprend pas
Mais elle sait
Et moi, bien après Marie, comment aborder la Résurrection ?
Ensuite
Dans l’espérance infinie
De se relever toujours
Non pas après
Mais maintenant
Entouré,
Avec ceux qui cherchent
Dans l’espérance infinie
de susciter à nouveau, une fois à terre
Les forces de la vie
Mon espérance à moi
ce n’est pas la Résurrection après la mort.
Jésus l’a fait une fois, et c’est bien comme ça.
Mon espérance à moi,
Grâce à cette unique Résurrection,
Grâce à ce vide désormais apprivoisé
C’est la confiance en la vie malgré tout
En l’amour plus fort que le
pouvoir
En des petits renversements quotidiens
C ‘est que malgré les minuscules ou immensément démesurés Golgotha
La non violence l’emporte sur la violence gratuite
Les fleurs sur la puissance
C’est l’amour, dans les petites ou grandes choses, qui prend l’avantage
C’est cette espérance
A l’aube de chaque matin.
Ressusciter, c’est pour bientôt ?
Je crois que ressusciter c’est ici et maintenant
A l’aube de chaque matin.
Anouk Dunant Gonzenbach
publié le 12 avril 2020
Par File-vers-le-vent
Anna, au bord du monde assise
Il y a ceux qui oeuvrent comme des forcenés, sept, dix, douze jours d’affilée, ou même plus, avant de prendre trente-six heures de repos pour ensuite retourner soulager les malades et assister les collègues. Ils font honneur à l’espèce humaine et à son intrinsèque philanthropie. Car, oui, la preuve en est faite chaque jour, nous, les humains, ne sommes pas que rivalité, agressivité, cupidité, jalousie, domination et autres bouffonneries. Le bon, le beau et le sens du devoir sont en nous aussi. Au coeur de nous-mêmes.
Ceux qui oeuvrent, donc, en appellent majoritairement à leur bonté et à leur sens du devoir pour trouver, en pleine tempête, la force et le courage de « monter sur le pont », selon l’éloquente expression consacrée.
Et nous, les confinés, que faisons-nous? Qu’est-ce qui parle en nous? L’impatience? L’admiration? L’agacement? Peut-être même le désespoir ? Mais… la vraie question n’est-elle pas plutôt : « qu’est-ce qui devraitparler en nous si nous voulions participer à la lutte ? » À qui ou à quoi s’en remettre pour ne pas se sentir temporairement hors du monde? Pourquoi pas à la poésie?
Tous confinés, tous poètes. Pour nous-mêmes, pour nos proches, pour des inconnus, pour le monde. Tous, nous pouvons convoquer la poésie et, à défaut de commander aux vents et aux marées, être au moins une goutte d’eau dans l’océan. À ceux qui en doutent et qui se croient incapables de toute production poétique, voici, en quelque sorte, un mode d’emploi, énoncé en 1839, par un certain Alfred de Musset, âgé alors de 19 ans, dans son « Impromptu en réponse à la question : Qu’est-ce que la poésie ? »:
Chasser tout souvenir et fixer sa pensée,
Sur un bel axe d’or la tenir balancée,
Incertaine, inquiète, immobile pourtant,
Peut-être éterniser le rêve d’un instant ;
Aimer le vrai, le beau, chercher leur harmonie ;
Écouter dans son coeur l’écho de son génie ;
Chanter, rire, pleurer, seul, sans but, au
hasard ;
D’un sourire, d’un mot, d’un soupir, d’un regard
Faire un travail exquis, plein de crainte et de
charme
Faire une perle d’une larme :
Du poète ici-bas voilà la passion,
Voilà son bien, sa vie et son ambition.
Alors ? L’opportunité est là, devant nous, la chance nous est offerte, sachons la saisir! Poète, prends ton luth!
Et lorsque tout sera terminé, lorsque nous sortirons de nos foyers et arpenterons à nouveau librement la campagne, avant de courir, de grimper, de crier, de sauter, bref, de caracoler par monts et par vaux, nous pourrons avec quiétude nous adosser un instant à un arbre ou à un rocher, et admirer sereinement le spectacle, tout comme le faisait Anna, au bord du monde. Anna de Noailles, qui, en 1901, à 25 ans, nous offrait son magnifique poème : « La vie profonde » :
Être dans la nature ainsi qu’un arbre humain,
Étendre ses désirs comme un profond feuillage,
Et sentir, par la nuit paisible et par l’orage,
La sève universelle affluer dans ses mains.
Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face,
Boire le sel ardent des embruns et des pleurs,
Et goûter chaudement la joie et la douleur
Qui font une buée humaine dans l’espace.
Sentir, dans son cœur vif, l’air, le feu et le sang
Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre ;
— S’élever au réel et pencher au mystère,
Être le jour qui monte et l’ombre qui descend.
Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,
Laisser du cœur vermeil couler la flamme et l’eau,
Et comme l’aube claire appuyée au coteau
Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise…
publié le 11 avril 2020
Par Anouk Dunant Gonzenbach
Les tulipes poussent, la Place Neuve est vide
Il y a la queue à la boucherie du bas de la rue
Mes tulipes poussent
Mardi Place Neuve 18h45,vide
Hier une séance du comité de notre association
Et à 21h00 sur le balcon
Aujourd’hui c’est vendredi
La queue à la boucherie du bas de la rue déborde sur le trottoir
Mes tulipes je les ai plantées sur le bout de rue
Les scouts vont à la Migros
A 21h00 sur le balcon, sur chaque balcon
La cour Saint-Pierre est déserte, les gens se promènent dans les vignes du Mandement
Mardi Place Neuve 18h45 vide, même la rue de la Croix-Rouge
Aujourd’hui c’est vendredi Saint
Hier, la séance du comité c’était sur un écran
La queue en bas de la rue à la boucherie est longue
Parce qu’il y a deux mètres de distance entre chaque personne, sur le trottoir
Mes tulipes fleurissent
Télétravail, télédevoirs, télécours de piano
Un soir par semaine la cathédrale carillonne
Les gens jettent leurs déchets dans les vignes
Et sur le sentier du bord du Rhône
A la Migros, les scouts, ils effectuent vingt livraisons quotidiennes dans le quartier
Pour ce qui ne peuvent pas
La séance du comité de l’association par vidéoconférence
Aujourd’hui c’est vendredi Saint, congé, mais ça ne change pas grand chose
Pour les confinés
Sur chaque balcon chaque soir le rendez-vous 21h00
Les gens espacés tous les deux mètres sur le trottoir en bas de la rue dans la queue devant la boucherie
Ont un masque sur le visage
Mes tulipes je les connais par cœur cette année
Un soir par semaine la cathédrale résonne d’un concert
Qui fait partie des musiques, films, pièces de théâtres libérés
Sur la toile et dans l’air, offerts
Le sentier du bord du Rhône est tous les jours plus sale
Vendredi Saint congé, mais depuis 28 jours on travaille (ou pas) quand on peut et
Comme on peut
Sur chaque balcon chaque soir à 21h00 applaudir, ça réchauffe
Nous sommes dans l’histoire qui s’écrit
Tenir des séances par vidéoconférence avec le comité de l’association, rire, mais
Comme c’est mieux de se voir en vrai, et rire
La culture c’est sur écran
En ce printemps
Le soleil c’est dans le ciel, imperturbable, pur bleu
En ce printemps (et il n’arrange pas M. Poggia)
Sur le sentier tous les jours plus sales, des gens avec des masques
Les scouts ont un coupe-file, à la Migros
Pour aider ceux qui ne peuvent plus
Les amis c’est sur écran
En ce printemps
Les achats à la boucherie du bas de la rue
C’est pas pour les invités
Le virus a un nom
Nous faisons partie de l’histoire
Les tulipes sont en fleur
publié le 10 avril 2020
Par Mladenka Perroton
Si tu ne comprends pas ta liberté
Si tu ne comprends pas ta liberté
Tente alors de rester, interdit, de ton côté de la ligne
Là où est amarré le cargo
Que tu charges des ébauches jamais dessinées et des espoirs épuisés.
Ou, alors, commence par respirer,
Comme si le sud était de nouveau l’endroit où les désirs grandissent
Et le nord où on va pour tituber sur la terre gelée.
Comme si tu savais comment ne plus attendre
Et comme si, quand arrive ce que tu attends, ne te faisait plus fuir.
Commence par envahir le temps et t’en débarrasser de celui qui t’allait
Comme une tenue mal assortie.
T’avancer, au matin, à la frontière de ce qui ne vient pas encore
Et sourire à ton reflet dans le miroir et à ces yeux solitaires.
Accepter les piqures de la mémoire et les cycles de la lune,
Boire suc et nectar des jours de carême
Et observer, brave, ce qui arrive
Dans ce que tu pensais à tort, être ton royaume.
publié le 9 avril 2020
Par Anouk Dunant Gonzenbach
Une période suspendue comme un petit manteau au vestiaire de l’école
Une parenthèse, un moment suspendu. Pour ceux qui ne sont pas au front, pour ceux qui ne participent pas en mettant en jeu leur santé ou qui ne risquent pas leur situation. Suspendu. C’est le mot qui me vient. Je me sens comme un petit manteau d’enfant accroché au vestiaire en-dehors de la classe. Rien à faire en attendant la récréation ou la fin de la classe.
Rien à faire de normal, parce que à faire, il y a, frénésie de télétravail, de support aux devoirs, de coach de cuisine, tant qu’à faire putzer le placard à fond, paniquer car on n’arrive pas à suivre tous les podcasts, toutes les pièces de théâtres libérées sur la toile, tous les documentaires, fatiguer de parler encore et encore au téléphone en remarquant que c’est bien plus énergivore que de juste parler lors d’une journée normale, ne pas paniquer si la vérité sur soi ne nous apparaît pas là au milieu comme il paraît que ça devrait, puis lâcher et rester assise sur une chaise, devant la fenêtre ouverte, avec le soleil qui réchauffe la peau à travers le tissu du jeans, le regard dans le vide.
L’essentiel viendrait-il à nous ainsi, mais qu’est-ce que l’essentiel. La santé, l’économie afin que personne ne soit dans la rue, la solidarité, la protection des plus faibles, mais sont-ils seulement là où nous l’imaginons, je ne suis pas assez armée intellectuellement, économiquement et politiquement pour prétendre avoir un propos (à part que pitié, ne déconfinez pas les adultes avant les enfants), je pendouille comme la petite veste d’enfant accrochée au vestiaire en dehors de la classe alors que la cloche n’a pas encore sonné.
Alors à toute petite échelle, à cette hauteur de banc d’école, remarquer les petites bulles en couleur. La petite fille qui glisse un dessin dans la boîte aux lettres de sa voisine, infirmière, qu’elle a soigneusement roulé et attaché avec un ruban, au lieu de le rendre à sa maîtresse comme prévu, parce qu’elle s’est dit avec ses mots que le circuit court serait plus porteur, et ça lui a fait chaud au cœur, à la voisine infirmière, qui vit des moments pas tellement en couleurs. Ces fameux applaudissements de 21h00, qui ne faiblissent pas, maintenant les gens se souhaitent la bonne nuit d’un immeuble à l’autre, fidèles au poste, et ces « bonne nuit, à demain » échangés éclairent la nuit. Bien sûr que pas tous ne pensent au personnel soignant, mais beaucoup quand même, et c’est du lien, de toute façon. Les commis pour les voisins, les repas offerts, tout ça, et tout ce que Thierry Mertenat met en lumière dans la Tribune, à hauteur de Genève.
Tous ces petits gestes humains, minuscules, petites bulles comme un lâcher de ballon qui s’élance vers le ciel. Un ciel bleu silencieux et pur de toute balafre blanche.
publié le 8 avril 2020
Par Linda Diatta
Le premier mot
Et si rien ne venait jamais ?
Eperdu, il attend, assis sur son banc.
Il a pourtant fait tout comme il fallait.
Inspiré longuement, expiré tout autant.
Regardé au-dedans.
Il est vite revenu
Sans doute effrayé
Par ce qu’il avait trouvé.
A défaut d’encrier, il a vidé une à une
Toutes ses cartouches
Puis a trempé le doigt dans l’encre bleue
Et a tapoté la feuille blanche devant lui.
Des taches aux formes étranges sont apparues,
Mais aucun mot.
Le silence absolu.
Il a tout déchiré, puis fermé les yeux.
Imaginé un océan infini
Il partait à l’abordage ; après, on verrait bien !
Mais après, rien n’est venu
Le monde s’était tu.
Alors il s’est levé,
Et contre toute prudence,
Il est sorti de chez lui.
Il a couru
Puis a échoué là, sur ce banc.
Les rares promeneurs et leurs chiens le contournent,
A deux bons mètres de distance.
Un chat roux chasse dans le talus en-dessous,
A pas feutrés, les oreilles pointées.
Le soleil de mars chauffe sa nuque ;
Un quart de lune l’observe, curieux.
Les canards, posés sur l’eau comme des flotteurs,
Engoncés dans leurs plumes,
A un mètre les uns des autres,
Semblent eux aussi respecter la distance de sécurité.
Mais dans un bosquet voisin,
Le concert a déjà commencé.
Chacun rivalise, lançant pêle-mêle sa plus belle trille.
Il ne reconnaît aucun chant d’oiseau.
Ça le rend triste.
Ça sent le printemps.
Et pourtant…
La bise souffle fort,
L’eau ridulée semble remonter le canal.
Une mouette moqueuse ricane au-dessus de lui,
Planant dans un courant ascendant.
Et lui ?
Il n’écrit toujours pas.
Sa main refuse.
Il ne supporte plus le silence assourdissant des mots dans sa tête.
Et si rien ne venait jamais ?
Pourquoi s’entêter, rester là à attendre ?
Les branches des saules alentour jouent les instruments à vent,
Entre les mains de géants invisibles.
La bise a emporté au loin
Légère plume de papier
Une feuille de son cahier.
Vaine messagère,
Sa plume à lui est tombée aux pieds du banc.
Il ne sait plus.
La tête entre ses mains, il s’abandonne, enfin.
Alors, sur sa joue, une larme a coulé.
Petit point sur son poing fermé, elle est venue s’écraser.
Il l’observe sans mot dire.
Un point.
Pourquoi ne pas commencer ici,
Là où tout finit d’habitude ?
Deux larmes silencieuses ont rejoint la première.
Trois petits points.
Comme eux, il est en suspension.
Il attend.
Il sent que ce n’est que le début ;
Il a ouvert les vannes
Soigneusement fermées tout ce temps.
Après les larmes,
Qui sait ?
Peut-être viendront les mots.
Peu à peu
Une image se dessine.
Il n’ose d’abord bouger, de peur de l’effrayer.
Alors lentement, il saisit sa plume, son cahier abandonné
Et trace quelques timides traits sur le papier.
Ce sera son premier mot :
ESPOIR.
publié le 7 avril 2020
Ce soir, nous chanterons aux balcons. Poèmes
Par Gabriella Baggiolini:
Duveteuse améthyste
Une anémone pulsatille
Exerce son empire
Sur l’herbe naissante
Mémorable îlot de beauté
Dans nos vies bouleversées
Ce soir nous chanterons aux balcons
Par Eric Golay:
Ah, ce qui nous arrive…
Collectif !
C’est rare qu’on pense tous à la même chose !
Privilège – si l’on veut.
Désœuvrés
Alors on secoue ses vêtements
Il y a des mots qui tombent
Tout prêts
Ou peut-être des lettres
(On dit : « Il a des lettres » ; on ne dit jamais : « Il a des mots »)
Les lettres, ça permet beaucoup de choses ; les mots,
C’est plus attendu.
« Confiné ; j’ai fait ci ; j’ai fait ça ; je me sens ci ; je me sens ça ; »
Les chiens
Ne vivent jamais dans un univers restreint
Parce qu’ils ont les odeurs
Pas besoin des lettres, ils sont informés
Ils s’en foutent d’aller loin
Ils vont même chercher leur collier
Pour vous l’apporter, contents d’être tenus en laisse.
Mais est-ce que nous, nous n’aimons pas aussi être tenus en laisse ?
L’emploi, les relations, le salaire, l’estime que l’on reçoit, être aimé.e.é.e.é.e
Liberté ? le bouchon sur la mer
Ah mon dieu, ce qu’on devient con avec ce confinement !
Menace
Oui, quelque part
Panique à l’idée qu’on pourrait être de la prochaine charrette
Ou nos amis
Ou nos proches
Vite balayée
Non, tout ira bien
On s’enferme et tout ira bien
On croise de plus en plus de museaux blancs
On est une menace pour ces croisés
Ils vous évitent, ils ne parlent pas.
On est l’ennemi
Vite, sortir du supermarché
(Ou ne pas y aller, si le baromètre indique plus de 65 ans)
Légumes que d’autres ont touchés
Emballages postillonnés
Eternuement toujours possible
Et le chariot, et le caddie
L’héroïne des caisses,
La fliquette, l’infirmière,
Le chauffeur, le livreur
Sans qui l’on ne vivrait pas
Hommage ! Hommage !
En attendant, on leur crève les pneus
On se méfie d’eux
On dénonce ceux qui trompètent sur leur balcon
Sous le tapis du confinement, les cloportes, les minables, ça existe toujours.
J’allais parler du Soleil
Mais tout le monde sait ce que c’est.
Le soleil brille, pour nous ce n’est plus pareil, mais lui, il s’en fout
Il s’en fout et il brille
Il a bien raison de briller, c’est son boulot
Quand il n’est pas là, c’est encore pire
Parce que l’heure de promenade, sous le Soleil, c’est une con-solation.
Je pense à ceux, pardon, celles et ceux, qui n’en ont pas
En Belgique sans doute, où il est plus radin
(Et la pluie qui est là pour emmerder les gens)
Ah, je deviens romantique ! Arrêtons-nous là !
Gabriella Baggiolini et Eric Golay sont deux poètes publiés aux Editions des Sables . Ces dernières mettent à disposition pendant la durée du confinement plusieurs recueils en ligne gratuitement, à trouver ici.
publié le 6 avril 2020
Un ânon, les Rameaux et Brassens
Aujourd’hui, c’est le dimanche des Rameaux, quand Jésus est entré assis sur un ânon à Jérusalem. Pour ceux qui comme moi se demandent, les Rameaux, c’est quoi déjà, et pourquoi l’âne est devenu important dans ce rituel et dans l’histoire de l’art de cet événement, voici sur le site de Sansleseuil.ch le résultat de nos recherches avec un petit contexte historique et en image.
Ici, je voulais proposer pour l’occasion un poème de Francis Jammes (1868-1938). Francis Jammes (prononcer les trois premières lettres à la française) est un poète qui a vécu toute sa vie au pied des Pyrénées. Il est un peu oublié, car à partir de 1905 sa production poétique prend un caractère essentiellement religieux. Wikipedia nous renseigne bien à son sujet, mais je n’ai pas trouvé d’autre site qui lui serait consacré (ah, l’accès à une vraie bibliothèque…).
Ce qui est paradoxal, c’est que ce qui est resté le plus connu de son œuvre sont deux prières, la sublime Prière, mise en musique par Georges Brassens et la Prière pour aller au paradis avec les ânes, parue dans le recueil Le deuil des primevères (1901).
Prière pour aller au paradis avec les ânes, Frances Jammes
Lorsqu’il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.
Je prendrai mon bâton et sur la grande route
j’irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
car il n’y a pas d’enfer au pays du Bon Dieu.
Je leur dirai : » Venez, doux amis du ciel bleu,
pauvres bêtes chéries qui, d’un brusque mouvement d’oreille,
chassez les mouches plates, les coups et les abeilles. »
Que je Vous apparaisse au milieu de ces bêtes
que j’aime tant parce qu’elles baissent la tête
doucement, et s’arrêtent en joignant leurs petits pieds
d’une façon bien douce et qui vous fait pitié.
J’arriverai suivi de leurs milliers d’oreilles,
suivi de ceux qui portent au flanc des corbeilles,
de ceux traînant des voitures de saltimbanques
ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc,
de ceux qui ont au dos des bidons bossués,
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
de ceux à qui l’on met de petits pantalons
à cause des plaies bleues et suintantes que font
les mouches entêtées qui s’y groupent en ronds.
Mon Dieu, faites qu’avec ces ânes je Vous vienne.
Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent
vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
qui mireront leur humble et douce pauvreté
à la limpidité de l’amour éternel.
Le deuil des primevères, 1901.
Image de bandeau: Entrée de Jésus à Jérusalem par Giotto, début du 14e siècle (Wikimedia, domaine public).
publié le 5 avril 2020
Par Anouk Dunant Gonzenbach
La pharmacie au coin de la rue
C’est fou comme les gestes quotidiens les plus banals changent de sens aujourd’hui, et c’est fou comme une constatation si banale peut se matérialiser par des bouffées de je-ne-sais-quoi ou de quelques larmes qui montent aux yeux inopinément. Mais la vue dans un parc d’un toboggan censuré par une croix en bande de chantier rouge et blanche est-elle si banale.
Parmi les gestes quotidiens, ou disons environ une fois par mois pour être plus honnête, le petit achat à la pharmacie. Enfin, ce fut quotidien, un temps, le temps du lait en poudre, des dosettes pour nettoyer les yeux ou de la vitamine K, ce temps où une promenade jusqu’à la pharmacie avec une poussette -voire une poussette plus une écharpe de portage- équivalait à la montée de l’Everest sans oxygène par la face nord. En ce temps-là, les pharmaciennes étaient le repère, le phare du coin de la rue.
Depuis, elles sont là, dans le paysage, au fil des années les bonjour et les sourires se sont appuyés, des paroles autres que juste nécessaires se sont échangées, puis des bouts d’histoire. Du vrai lien social pour tous les clients, les pharmaciennes de Saint-Jean, stables dans le temps, spontanées dans un accueil avenant jamais affaibli, ancrées dans la vie du quartier (c’est là qu’a lieu année après année le désormais célèbre concours de déguisements de l’Escalade pour les enfants).
Un paysage qui n’était pas censé se modifier, un paysage paisible entre boucherie, boulangerie, école, poste et pharmacie, au bout la Coop, entre deux les rencontres sur le trottoir. Et là, au dixième jour de confinement, je n’avais pas besoin de masque ni de désinfectant, non, je savais bien que c’est la pénurie, je voulais juste acheter un produit normal comme en temps normal. Sauf que. Dans cette pharmacie aussi familière que le clocher de l’école, de voir les flèches dessinées par terre pour indiquer le sens de la visite, les rayons barrés par cette fameuse bande de chantier rouge et blanche pour ne pas se disperser, mes pharmaciennes heureusement protégées mais éloignées derrière une vitre en plexi qui avait poussé là, un calme inhabituel à l’intérieur, j’ai flippé.
J’ai flippé, parce que je ne leur avais jamais dit, aux pharmaciennes, que je les aimais, ni à la boulangère ou à la postière d’ailleurs, je ne leur dirai jamais, ça ne se fait pas trop, mais on devrait, j’ai flippé parce que même si on sait que la normalité peut nous être retirée d’un instant à l’autre, je ne l’avais jamais vraiment vécu, j’ai flippé parce que je ne leur avais jamais dit merci d’être là, aux pharmaciennes, aux boulangères, à la postière, au boucher, j’ai flippé il faut bien l’avouer parce que justement je venais acheter un truc banal et pas du paracétamol d’urgence, j’ai flippé parce que dans la reconnaissance des moments de grâce quotidiens, je n’avais jamais pensé à la visite à la pharmacie, j’ai flippé parce qu’un simple achat à la pharmacie devenait un moment essentiel de la journée.
Je pensais, avant tout cela, devenir gentiment ceinture verte de l’observation du quotidien, et voilà qu’un lieu commun me saute au visage. Leçon de modestie. Regarder autrement la pharmacie au coin de la rue.
publié le 4 avril 2020
Par Linda Diatta
Se lever ce matin, encore…
Pourquoi, au fond ?
Aujourd’hui, plus que jamais,
Le monde a besoin de raisons.
Alors, ce matin encore,
Prendre son courage à deux mains
Et se hisser hors du lit chaleureux pour
S’émouvoir une fois encore devant le couronnement des majestueux magnolias en fleurs ;
Suivre rêveusement du regard le ballet amoureux des cygnes, élégants danseurs sur le miroir du canal ;
Pour la première fois, faire son pain soi-même. Découvrir qu’on aime ça. Mettre trop d’eau. Rater. Manger des tartines humides pendant une semaine. Et recommencer sans une hésitation ;
Se rendre compte qu’en fait, on aime son métier ; malgré nos plaintes incessantes et quotidiennes, au fond, on l’a peut-être quand même choisi ;
Vouloir voyager encore, découvrir un nouveau pays, quand le confinement sera fini… sans avion on essaiera, c’est promis ;
Lire enfin tous les livres d’Emile Zola et de Balzac qui prennent la poussière et attendaient, sagement rangés dans la bibliothèque du salon, une telle occasion ;
Aimer son mari – sa femme – son concubin – sa concubine – ses amis – sa famille – les soignants – les personnes âgées – soi-même – il paraît que c’est le plus important – l’être humain enfin, dans sa totalité, avec toutes ses imperfections – espérer qu’il apprendra, qu’il se relèvera de cette crise et acceptera de faire autrement puisqu’ainsi n’a pas fonctionné ;
Pouvoir respirer un jour à nouveau sans masque, croiser quelqu’un sur le trottoir sans faire un écart de deux mètres avec un sourire contrit, toucher à tout dans les grands magasins, appuyer sur la poignée de l’immeuble sans penser qu’on va crever, retrouver nos mains douces d’avant, quand on ne passait pas nos journées à les laver ;
Me lever pour écrire, enfin. Ecrire. Ne plus pouvoir se dire : je n’ai pas le temps. Ne plus avoir le choix. Plus d’excuse toute faite. Ecrire parce que c’est là mon essentiel, la seule façon de traverser l’existence. Accepter l’écriture et lui faire une place dans ma vie, pour me sentir complète, enfin.
publié le 3 avril 2020
La frénésie jonglait
toujours plus ivre
toujours plus haut
avec toutes les lettres de son nom
avec toutes les lettres de l’alphabet
quelques unes lui ont été volées
toutes sont tombées.
Tornades de poussière
la supplique du temps
à recueillir les lettres
à réenchanter les mots
à irriguer les chants
d’une voix franche
d’un souffle tendre.
Dans l’écriture de la lenteur
un vent de pollens
un jardin dans les sables
les mirages défaits.
publié le 1er avril 2020