Au début du printemps, nous avons lancé l’appel à texte ci-dessous. Des autrices et auteurs ont répondu et proposent ainsi des textes sur le thème « le quotidien, ici et là ». Certaines personnes nous ont aussi envoyé des poèmes choisis dans des recueils aimés, que nous avons également semés.
Réaliser un jardin de poèmes à planter près de chez soi. Les textes, écrits pour l’occasion ainsi que cueillis dans des recueils, seront imprimés un à un et fixés chacun sur un fin piquet (le piquet pour la tige, le poème pour la fleur). L’ensemble sera planté dans un coin de terre dans le quartier de Saint-Jean. Ce « kit » pourra être reproduit en plusieurs exemplaires pour être planté aux endroits de la ville qui nous/vous viendront à l’esprit.
A l’invitation de la librairie C. Pages, les poèmes sont arrivés en vitrine en vélo-cargo le mercredi 14 juin, pour une dizaine de jours. Ils accompagneront le vernissage du livre Des carrés à la craie, par Anouk Dunant Gonzenbach, éditions Ouverture, qui aura lieu le vendredi 16 juin à 18h en présence de Maurice Gardiol, éditeur et de Lisa Mazzone, préfacière.
Lecture des poèmes de jardin au Codebar par Claude Thébert en présence de plusieurs poètes le mercredi 28 juin à 17h30
Vince Fasciani et le Codebar reçoivent les poèmes de jardin et invitent à une lecture au Codebar, 10 rue Elisabeth-Baulacre à Genève. Un immense merci à Carrefour-Rue&Coulou ainsi que Natacha d’avoir organisé ce très beau moment.
Ecoutez sur Radio Sans Chaîne (cliquer ici) l’émission réalisée par la fantastique Jeylie lors de ce riche événement! Elle dialogue avec Claude Thébert, Françoise Favre Prinet et Anouk Dunant Gonzenbach.
Les poèmes de jardin dans le jardin du temple du Petit-Saconnex, 11 juin 2023
Le 11 juin, les poèmes ont été installés dans le jardin du temple, en pleine vue des passants qui passent.
Un jour, faire les commissions à la Coop du coin, même arriver jusqu’à la Coop du coin pour faire tes commissions te parait un exploit plus extraordinaire que de monter l’Everest par la face nord sans assistance et sans oxygène. Ce jour-là, tu es maman pour la première fois et tu sors pour la première fois toute seule avec ton bébé de six jours dans la poussette. Tu as franchi l’Everest.
Tu comprends petit à petit le bonheur d’habiter un quartier qui est un village, tu vas chez le boucher, au marché (en ce temps-là il existe encore), chez Tina, tu vois du monde, le monde admire ton bébé, les gens sont tous formidables, tu parcoures le Beulet dans tous les sens, tu passes du temps à la pharmacie, tu aimes les pharmaciennes, le boucher, Heinz et Danielle du marché, tu aimes les gens. C’est juillet, tu t’enhardis, tu te poses sur le rebord des voies couvertes, tu pousses doucement la poussette en avant et en arrière, tu regardes ton bébé dormir. Tu as de la chance, les smartphones n’existent juste pas encore, tu passeras tout ton congé à regarder le visage de ton petit bébé.
Tu ne sais pas encore que plus tard, il te demandera comment fait le robot pour se gratter les jambes quand ses boutons le démangent car il a les bras trop courts.
Tu explores un peu plus loin, tu découvres le parc des roses, certains l’appellent le parc des chats, la vue sur la Bâtie, le Rhône qui n’en a que faire. Tu prends l’habitude d’allaiter au parc des roses. C’est si paisible. Tu manges un flanc au caramel au parc des roses, tu échanges des sourires avec les promeneuses, tu es protégée par l’ombre d’Ermenonville, par toutes les femmes plus âgées qui passent, par l’été de Saint-Jean. Tes yeux ne quittent pas ton bébé.
Tu ne sais pas encore que plus tard, il te demandera comment c’est les poumons à l’intérieur d’un serpent.
Tu le portes dans l’écharpe, tu déambules au Promeneur solitaire, des tas d’enfants jouent dans la pataugeoire, dans les cabanes, au toboggan, tu entends les cris des enfants, tu écoutes ce bruit du monde, un des seuls qui vaille la peine, mais c’est encore trop tôt pour tout cela, tu remontes au parc des roses, tu allaites ton tout-petit.
Tu ne sais pas encore que plus tard, il te demandera si l’infini de un est plus petit que l’infini de deux.
Aujourd’hui, bien plus tard, entre ordres du jour et rendez-vous à prendre, entre rapports administratifs et sparadraps, entre deux coups de pédale, aujourd’hui que tu es devenue une tisserande du quotidien, tu aimerais bien prendre des morceaux de temps et les déplacer, revenir sur le banc du parc des roses, n’avoir rien à faire que de regarder cette vue et te consacrer entièrement à ce bébé. Tu as l’impression que tu as allaité le temps d’un point-virgule. Et dans ton cœur, tu remercies le parc des roses.
* Paru dans Quartier Libre n. 128, printemps-été 2023
Des autrices et auteurs proposent ainsi des textes sur le thème « le quotidien, ici et là ». Certaines personnes nous ont aussi envoyé des poèmes choisis dans des recueils aimés, que nous avons également semés. Un projet de virusolidaire.ch et du Théâtre du sentier .
Poèmes de jardin:
* je regarde autour de moi pour m’assurer que les amoureux avancent à leur rythme la vie est calme et le ciel dégagé maussade et silencieux je cherche un abri pour me protéger des coups durs je quitte la nuit pour pénétrer dans le jour je me lève en ce beau matin si ce n’est là ailleurs nulle part de la joie on en trouve partout c’est commun et bon marché je ne suis pas en position de faire le difficile de la joie pour tous de quoi réparer des siècles de tristesse Vince Fasciani
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Fragilité vibrante Ma petitesse dans l’Univers Oisillon insatiable prêt à jaillir vers monts et merveilles Gabriella Baggiolini
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Fissure Situé entre la table et le plan de travail, il y a dans la cuisine un carreau fissuré depuis 15 ans. Fendu sur toute sa diagonale, il a vu au fil des ans s’éloigner, centimètre après l’autre, le visage des enfants. Témoin des repas à géométrie variable, il a tout entendu : rires, engueulades, échanges musclés de points de vue, chagrins et mots qui consolent. Quand l’appartement était neuf sa fissure semblait signifier, avec un peu d’avance, l’impermanence des choses. La zébrure a un peu noirci en son centre mais dans son imperfection, elle n’a que peu changé. Patinée depuis son origine par les mêmes cinq paires de pieds, la fracture du carrelage saumonée pourrait raconter < les fêlures que le chagrin a imprimé dans la famille. Caressée par les glissades des cuisiniers en plein coup de feu, ce sont les larmes de nos fous rires qu’elle pourrait aussi partager. Sylvie Fischer
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Je voudrais être une victime Pour oser crier enfin Avant de devenir La folie des autres
Dans le deuil du silence renouvelé chaque jour La nature me dit ne pouvoir lutter Contre ma nature ni choisir Mon destin contre le hasard
Ici les châteaux hantent leurs fantômes Et les moindres de nos paroles Sur le miroir de la raison Me rappellent que la liberté Est une provocation Philippe Constantin
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Ici et là saisonnier Ici le Printemps, Avant-goût de fruits Le jour, enfin, rendu Plus fort que la nuit Ici l’été, Entre rayons de cancer Et chaleur pour l’hiver Jouer à ombre et lumière Là l’automne, Feuilles posées sur la brume Noces de sang, noces de vin Un avant-goût d’amertume Là l’hiver, Sur l’étang, la myrrhe alunit Air de Purcell, rien à faire Saison de la paresse impunie L’hiver encore, Dévisager, creuser son mystère Qu’elle-même peut-être ignore Pierre Jaquier
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Primevères Primevères, primevères C’est la fin de l’hiver, Vous êtes là, discrètes, Émaillant de lumière la prairie à peine verte. Primevères… «prime-jaunes, Maman !» Disait notre cadette du haut de ses trois ans ! Logique, merci Chérie, tu voudrais un bouquet ? La tige est courte, et ne tiendrait Dans aucun vase. Elle veut sa terre Et ne se plait qu’en pot, la brave primevère. Alors tu prends la motte Délicatement l’empote. Arrose-la souvent, et son jaune permanent Égayera longtemps ton p’tit appartement ! Enfin, à Pâques, de belles éclosions Célèbrent le printemps et la Résurrection. Tu reposes ta plante, heureuse, en pleine terre : Des morceaux de soleil dans la fraicheur de l’air ! Monique Dunant
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Elle, au jour le jour. Elle a saisi son violoncelle, face à la fenêtre ouverte sur les lilas de la nuit, elle joue, sa joue pressée sur la volute d’érable, l’archet pulsant la voûte d’étoiles.
Au seuil de l’aujourd’hui et du lointain, elle sauve le vent pleurant que tous maudissent, le blottit entre son pull et sa peau, le porte à son souffle, l’emmène dans la rivière de ses cheveux. Elle sort par le jardin, suspend à une branche la lanterne jetée à terre, d’un pas léger prend la rue des lierres, délace les ombres de l’emprise jalouse du quotidien. Derrière les clôtures, elle entend les liserons se faire la belle, aux milles miroirs des gouttes de pluie, elle boit le soleil, l’osier du panier sur la hanche, elle se rend au marché. Entre ses paumes elle roule l’ambre des oranges, l’or des citrons, les paroles des passants, les pleurs des enfants, les roule entre ses paumes, nues et claires, les roule, les enveloppe de lumière. L’abondance la chavire. Elle boit un café, laisse deux pièces de monnaie, au revers du ticket, écrit un poème pour qui elle ne connaît… La serveuse sourit, elle sait… Au jour le jour, elle donne à la réalité une autre réalité, elle intervertit le temps et la présence, elle écarte la vie agitée… Elle s’inquiète de la lumière, frémit pour elle, la désenlise, la désaltère, la dépoussière, la libère, la tire de la noyade, du vide où elle s’est agrippée. Pas un conte de nourrice !… Un manifeste d’étincelles, une folie, une passion, une timidité sublimée, une lumière à affranchir, à relever, à embrasser, une lumière où respirer. Au jour le jour, elle éclaire ce qu’elle aime. Françoise Favre-Prinet
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Le quotidien, ici et là Il n’y a ni futur, ni passé dans la vie Il n’y a que du présent qu’une hémorragie éternelle de présent L’attente de Dieu, c’est déjà Dieu tout entier… Christian Bobin in La part manquante, chap. 3
A présent, toujours là Dans le bruissement des jours et des pas Même lorsque je me sens las Une main tendue me hissera Un sourire-tendresse m’ouvrira
Au quotidien, toujours présent Entre l’alpha et l’omega de chaque instant Voguer tel un veilleur itinérant Attentif au surgissement de l’A-venir en ce temps Comme un appel à demeurer résistant Maurice Gardiol
* En terre Quand cela a-t-il commencé et comment tout cela a-t-il fini ?
Ta langue autel à poussières découvre l’herbe printanière ton doigt mesure le cadre d’allumettes l’ampoule dévissée du soleil en terre
Étranges lumières sous tes paupières de la fin à l’enfance estime ta chance d’avoir été ne crains plus de brûler de retourner au rien ossuaire
Devant les taupes sous les souris et les cerfs plus de pénombre ou de peurs te voilà vu de la lumière libéré du temps du moi de l’être
Tout ce qui ne fut pas compris pas pleuré pas hâché est devenu prière rivière
Des racines font battre ton cœur les fougères bercent tes artères ton sang devenu rosée
Rien ne meurt rien ne dure tout fleurit et se fâne se greffe et s’engraine en terre Sylvain Thévoz
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L’odeur d’un matin de fin de printemps rosée gorgée d’herbe parfum de la couleur des jeunes fleurs de la chaussée qui se réveille Mais pourquoi
l’odeur d’un matin de fin de printemps ne dure-t-elle pas toute la journée ? Anouk Dunant Gonzenbach
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Les rapaces La buse plane Le gypaète plane Le faucon plane Le milan plane Mais qu’est-ce qu’ils prennent tous ? Jean-Luc Fornelli
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Vida de Sísif Llevar-se, treballar, menjar i fer que en mengin d’altres, tenir problemes i resoldre’ls, o potser no; tirar endavant fins caure al llit, esgotada. Mirada així no té sentit, aquesta vida de Sísif, però hi ha coses que no he dit: la fresca del matí, les mirades d’entesa, el gust per fer el que cal, la bellesa i que a Sísif, la pedra, sovint li sembla lleugera. Alba Tomàs Albina
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La flor de amarilis La flor más bella agota el bulbo. El blanco impoluto sale del marrón. Los pistilos se abren, amarillos, puros, y luego se repliegan como un trombón. El rosa delicado de las flores grandes despliega un enigma de orgullo invernal. El bulbo se encoge, mengua, se recoge, huecas capas secas caen hasta el final. Dar la vida como un bulbo de amarilis que de la flaqueza engendra un nuevo tronco con su lanza verde, henchida, una promesa, la llama infinita que se abrirá al sol. Ana Mata Buil
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(bribes) on raconte l’histoire d’un jardin magnifique un jardin d’où l’homme a été chassé par la connaissance on raconte cette histoire comme si elle avait déjà eu lieu pourtant c’est une mise en garde et le jardin n’a jamais été imaginaire Alexandre Correa Après l’Europe, éd. Torticolis et frères, 2021.
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Ici pain quotidien là peine quotidienne marcher de l’une à l’autre marcher danser courir et parfois s’arrêter entre la glycine de mai la main tendue de Michaël près du petit mur la poste où déposer un colis de 5 idioms 5 dunnas avant de jeter dans la benne le verre qui se brise dans un éclat de rire
mais là-bas, près du Rhône comment éviter la plaque où le nom de Bartolomé Tecia n’en finit pas de crier ?
poème quotidien j’écris je ris je crie Denise Mützenberg 2 mai 2023
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Les fenêtres Derrière des fenêtres closes d’immeuble en immeuble £des regards se croisent s’évitent ou s’épient en silence profitant des courants qui s’engouffrent dans la cour des oiseaux jaillissent virevoltent et dansent ivres de joie leurs chants résonnent contre les murs de béton subjugués par ces cascades de notes les voisins ouvrent leurs fenêtres et leurs cœurs. Philippe Bonvin
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« C’est un loup. Ou bien autre chose. Ou pas. Peut-être. » Pisteurs amérindiens du Grand Nord, les Gwich’in, cité par Nastassja Martin
Recouvrer l’humus
Nous étions faits, peut-être, pour autre chose, tu sais.
Nourris de vains soupirs de la tenaille aigre des désirs défaits du maillage des impératifs qui – inextricablement – se resserrent Cadenassés malgré nous dans un horizon de pétrole, de bitume et d’acier Nous entendons à peine à présent le cri silencieux qui s’échappe des oiseaux celui des fleurs qui meurent du glacier qui expire.
Dans l’incertitude de nos traces Qui lira l’horizon de ce qu’il nous reste à vivre À humer À brasser Entre terre et mer forêts et vallons Combien de cailloux encore à avaler pour que l’amertume de ne pas être ce que nous sommes cesse ?
Quelle part de sauvage demeure en nous ? Et sous quelle honte, paraissant si précieuse, l’avons-nous enfouie ? […] lire la suite dans la Revue Pourtant Marc Desplos
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Vol d’oiseaux Un battement Surgit de derrière Un groupe d’oiseaux Ailes déployées Silhouettes blanches noires grises Se découpent sur le Salève Les arbres les nuages En contraste Le groupe tourne Autour d’un sapin Revient Repart… Son souffle À son passage Son silence Quand il s’éloigne Battements d’ailes en rythme En des formes diverses Tourne autour d’un sapin S’élance au loin Tourne autour du sapin Repart revient Piqués croisés planés Chorégraphie Comment font-ils pour ne pas se heurter ? Trois oiseaux s’envolent au loin L’un d’eux revient Franchit l’essaim Se retrouve seul Les deux autres Exécutent une danse solitaire L’essaim revient Tourne Revient encore Souffle et silence Cœur immense Silhouettes mobiles Sur fond violet vert gris blanc Souffle et silence Chorégraphie du temps Retenu dans les ailes… Huguette Junod
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Météo à deux voix
Germinales Le terreau du sommeil est encore tiède. Dans cet espace naturel hors-sol, à l’instant de l’éveil, je scrute la levée des mots. Je les admire sans bouger, la joue enfouie dans l’oreiller. Je me faufile à travers leur toison printanière. Ils sont fermes et fins comme une poussée de cresson dans laquelle les doigts esquissent des caresses et agitent des frissons. AB
Pneuma J’inspire le souffle de vie. Je glane de nouveaux mots. Une période de maladie m’oblige à ralentir, ressentir, faire lien avec mes proches plus malades que moi. Je joue aux mots fléchés et m’émerveille. Des mots fléchettes qui soulagent les maux. Je vagis au jour qui pointe. Nouvelles perspectives. J’aspire à des gemmes résines de j’aime coulant de cœurs en mains, aux cueillettes de chervis charnus roboratifs pour l’âme. Toréer avec les ombres et transcender le champ de bataille du monde. Les fleurs repoussent après les bombes. CC
Pousse Je me compare à une graine éveillée dans sa gangue. Embryon vivant dans un espace encore fermé qui déjà se dilate. Je sens l’appel de vivre au-delà des enveloppes. Les mains dans l’humus, j’éprouve l’énergie de m’expandre. J’ai l’intuition d’être cette plante unique, terrestre et cosmique : une éveilleuse de confiance. AB
Saisonnales Pluie fine. Je chemine vers le bois. Un bain de verts tendres m’attend. Le printemps se répand. Tandis que le Rhône s’écoule, les mélodies entremêlées des oiseaux me magnétisent. Au milieu du chemin de ma vie, la légèreté aérienne de l’oiseau me fascine. Envol arabesque. Les chardonnerets élégants m’honorent de leur passage. Leur parure bariolée est baume. Je photographie tout et archive sans caméra. CC Anne Bernasconi & Cynthia Cochet Écrits en avril 2023, ces quatre textes sont l’amorce d’une correspondance poétique entre les deux femmes. Anne Bernasconi (Evilard BE) & Cynthia Cochet (Genève)
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Les mauvaises herbes Dans le jardin au printemps Les mauvaises herbes Occupent mon temps Je les veux loin Pour retrouver Le beau gravier Et l’harmonie D’allées fleuries Pénélope détissant Patiemment De la terre le tapis Je m’étonne souvent D’aimer ces petites plantes Parfois ornées de fleurs Minuscules et parfaites Les feuilles sont variées Rondes, ovales, allongées Ou en épi de blé Les racines surprenantes L’une se donne sans résistance Pour l’autre il y faut le couteau Une troisième s’est développée En tentacules éparpillées Une sournoise se fait presque oublier Sous la forme rampante d’une mousse grisée Elles sont rigides ou bien coquettes Elles sont têtues ou bien dociles Mais les cueillant Les triturant Les arrachant Posées en amoncellement Je pense toujours A cet ami qui un jour me dît Les mauvaises herbes Ce sont des herbes Dont on n’a pas encore trouvé Le sens de leur utilité Brigitte Frank
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Le quotidien ici et là Voici bien là un mot qui m’effraie autant que je l’admire : le quotidien.
Ici, il m’est à l’esprit foyer du réconfort, de tendresse et d’une sorte de sainteté relationnelle que je ne sais nourrir, du moins pour le moment.
Car il me semble avoir le temps. Le temps de repousser ce quotidien merveilleusement espéré qui, pour l’heure, sonne à mon oreille tel le glas d’une éternelle monotonie. Une condamnation à perpétuité à une routine dont je voudrais être certain qu’elle me comblera corps et âme avant de m’y abandonner et que jamais elle ne me conduira à la solitude.
Alors, je brûle la chandelle par les deux bouts, juste pour voir si l’un des côtés ne se consumerait pas mieux que l’autre, si la flamme n’y serait pas plus douce, plus droite, plus réconfortante. Et lorsque je me détermine, il ne reste plus rien qu’une petite flaque de cire solidifiée sur le coin de ma table. Alors, je m’étourdis dans une quête de sens qui, de guerre lasse, abandonne bien souvent sa vertu au seul plaisir de la sensation, pourvu qu’elle soit forte. Alors, je m’enivre de vin en quête d’une vérité qu’il me semble parfois toucher du doigt dans l’épaisseur de la nuit avant qu’elle ne disparaisse dans la brume du petit matin. Je cherche à n’en plus pouvoir. À n’en plus savoir vraiment ce que cherche au juste.
Mais le temps passe, lui qui me fut allié. Le temps passe dans une inlassable cadence dont ma perception le fait s’accélérer à la mesure de mon essoufflement.
Le temps : voici bien là un mot que j’admire autant que je le crains. A. N. Schall
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sa résidence c’est le plein air il connaît tous les bancs de la vieille ville leur bois humide l’inconfort du métal
il leur a donné un nom port de plaisance rude hiver série noire
il ne demande pas la lune Philippe Rebetez (leporello Samizdat, 2023, ce qu’on voit nous regarde)
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Poème en bouton au tablier du printemps Poème en bouton au tablier du printemps ! Mais le sécateur, à la main du jardinier, par erreur grossière, Le prend pour une artificielle primevère N’offrant plus à la boutonnière Qu’une pauvre vie d’orpheline Et à la joue jardinière, une issue sanguine.
Voilà que le bouton tombe et fond dans la terre Et puis forme des stolons et la poésie germe ; L’araignée file et tisse le tablier le plus ferme ; Ainsi reprend goût à la vie – et ses esprits – l’épiderme. Le sécateur, mis au coin, à sa radicalité rumine Tandis que poètes et jardiniers dansent la biguine Aux sons des folles éclosions de l’incroyable jardin de St-Jean Dominique Vallée
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L’ordre des campagnes La grange trésor d’ombre ancienne, Le coq, les orties montent la garde. Mais approche sans crier gare De ce char, de ces roues, de ces pailles, Et disparais dans l’odeur des menthes. ~ La fontaine, les linges flottants, Les lavandières ensoleillées, Midi moins une au bord des giroflées,£ Le pois s’étire dans ses rames. Bois et pierre, ardoise et poussière, Bonnes gens, mauvaises gens, Bon soleil ou mauvais vent, Beaux blés et folles herbes,£ Midi moins une on ferme le temps. ~ Le coq, le tabac, la moto-pompe, Le poudroiement de lumière, Le coq, l’affiche déchirée. La lessive sur le pré Atteste l’ordre des campagnes. ~ Fil des fontaines dans la nuit du village ; Un peuple de ruisseaux, de canaux et d’eaux vives Chante par souvenir pendant que vous dormez Les mains de vos morts qui l’apprivoisèrent. ~ Pré noir jonché de pommes d’or Quel arbre à la face t’a jeté ses fruits ? Georges-Emmanuel Clancier, Terres de mémoire Poème semé par Nicolas Künzler
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l’appel inconnu d’un oiseau me poursuit à travers la forêt il voudrait savoir qui je suis pourquoi me questionnes-tu juste maintenant juste ici précisément je ne sais pas répondre une seule chose je suis Tina Planta-Vital, stizis as cruschan (Traces qui se croisent), traduit du romanche par Denise Mützenberg, Editions Les Troglodytes. Poème semé par Claude Thébert
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suldüm prüvada saint vastezza ils ögls inaint muntognas uondagian l’aual penda calm tras il god et tanter la spelma d’üna metropola a la glüm dal disun paesagi sulvadi ~ solitude intime je sens l’immensité les yeux à l’intérieur les montagnes ondoient le ruisseau pend paisible à travers la forêt et entre les rochers d’une métropole en plein jour je suis un paysage sauvage Flurina Badel, sert fomantà (jardin affamé), traduit du romanche vallader par Denise Mützenberg, Editions Les Troglodytes. Poème semé par Claude Thébert
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Murmure de jonquilles par la fenêtre entrouverte le soleil s’invite en toute simplicité Francine Carrillo, Le Sable de l’instant, Editions Ouvertures. Poème semé par Claude Thébert
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Ma vieillesse me parle Mes jambes avancent vers la terre Je ne trébuche pas Lentement je fais le tour du lac Une truite grise me dévisage Elle sait que mon apprentissage Émeut mon âme À mon tour, je deviens une aînée J’attends ta visite pour te raconter Une histoire qui demeure Dans les mémoires Joséphine Bacon, Un thé dans la tundra, Nipishapui nete mushuat, en français et en innu-aimun par l’auteure, Editions Mémoire d’encrier. Poème semé par Manon Hotte
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Ord i bok – de kan föra mig lângt lângt bort till andra sidan av jorden och rakt ut i rymden och djupt ner i havet…
Men ocksâ nära mig själv kan jag komma och närmare dig, när orden förklarar sâ att jag förstâr lite bättre än förr vem jag är, vem du är i världen ~ Des mots dans un livre – ils peuvent m’amener loin, loin vers l’autre côté du monde, tout droit dans l’espace et vers les profondeurs de la mer…
Mais je peux aussi m’approcher de moi-même et plus de toi, quand les mots expliquent d’une manière que je comprends un peu mieux qu’avant qui je suis, qui tu es dans le monde. Kaj Beckman, Jag ser pâ mig själv och andra – Je me regarde et les autres, 1976. Poème semé et traduit par Janet Helgesson
En pédalant en couleur en choeur en chocolat en lisant Engadine en janvier en joie enneigé en train en écrivant
en paix ennivrant en robe à pois
en carillonnant en rond en écoutant en bondissant en coeur en trébuchant en chocolat en forêt en tissant en débordant en contact en prose en ville entière en arrosant en vrac en bouillon enfance en avant en étoile
Alireza a sauté du pont. Rejoindre les étoiles était préférable pour lui à un renvoi en Grèce, son enfer de Dante. Il voulait que sa souffrance s’arrête. Son espoir est mort là, à deux pas de chez nous, chez nous. On ne pouvait pas dire que l’on ne savait pas.
On ne pourra pas dire plus tard que l’on ne savait pas. Car oui, on le sait, que les conditions de vie dans les foyers ne sont pas une vie. On le sait, que des enfants sont condamnés à y attendre une décision insoutenable. On le sait, que dans les premiers pays d’accueil, en Grèce, en Croatie et ailleurs, les gens croupissent dans des camps, sont trop souvent victimes de violences et en sont réduits au désœuvrement, à une attente sans fin qu’il vente ou qu’il neige, que le soleil tape fort ou que les pluies inondent leurs baraquements de fortune. On le sait, que ceux qui décident l’inhumain sont bien loin à Berne et que sur le terrain souffrent les humains.
Les associations, les Eglises, le CSP, les engagé.e.s, ils témoignent, alertent, écrivent, pétitionnent, accompagnent depuis des années. Jeudi passé, la voix des jeunes a résonné. Ils comptent sur nous pour l’amplifier. Ils n’ont plus que nous, mais ils nous ont. Soyons dignes de leur dignité, de la confiance qu’ils nous font, qu’ils ont exprimées, jeudi soir dans la nuit de décembre, au pied de l’Hôtel de Ville. Avant de retourner au foyer de l’Etoile, là où aucune ne brille.
Nous, Genevoises et Genevois, habitons à côté de ce centre d’hébergement fédéral pour mineurs. C’est chez nous, alors nous ne pouvons pas fermer les yeux ou nous taire. Crions, indignons-nous, interpellons encore plus fort le Secrétariat d’Etat aux migrations et les autorités fédérales. Ils rendent des décisions mais c’est chez nous que les enfants sautent du pont. Genève ne doit plus le tolérer. Genève doit montrer sa solidarité. Genève doit se soulever. La pression ne doit pas se relâcher.
En ce temps de Noël, prenons le temps de réfléchir à l’hospitalité.
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Paru dans la Tribune de Genève, La lettre du jour, 15 décembre 2022.
Des morceaux épars, des bribes, de la poudre à lessive, des carottes pluchées, des cahiers couverts, oreilles attentives, sixième sens à l’affût, pique-niques et partitions, ballon et ballerines, rapports administratifs et commissions, séances plénières et sparadraps, ordres du jour et ventes de pâtisseries.
Des artistes de l’épars, femmes, filles et mamans, nous.
Des morceaux épars, des bouts de tissus à gauche et à droite, en pile et envolés, dessus et dessous. Délicatement, faufiler, raccommoder, coudre les bouts sur une grande tenture, pour voir. Il y a quelque chose dans le fil, sa couleur, sa texture, quelque chose de tout-à-coup cohérent, si on regarde bien. Il en faut du temps pour coudre, pour que la tapisserie prenne du sens, pour que le fil d’Ariane puisse peut-être, toujours, indiquer une direction.
Le grand patchwork du quotidien devient unité. Le fragmenté brodé. Les bris recollés.
De l’épars nous les tisserandes savons faire naitre l’harmonie.
Les cosmos ont séché sur pied Devant la maison, Je suis triste. Il faut dire que je ne les arrose plus, Parce que utiliser de l’eau pour arroser, en ce moment, Je n’y arrive pas, L’eau potable si précieuse. Les cultures ont brûlé Les vignes hachées Les cosmos secs et bruns pendouillent Et je suis triste. Les ados, autour, sont inquiets, Ils font tout ce qu’ils peuvent Mais ça ne change pas grand-chose, Et ça me rend triste, tellement triste, Et les glaciers fondent.
Depuis la nuit des temps, Depuis que le monde est monde, Ce n’est pas drôle, on est d’accord, Mais là on pourrait tellement.
Alors je vais replanter des cosmos Et les arroser A l’eau de pluie récupérée A l’eau du robinet, tant pis, Non, quand-même pas Et je vais regarder le quartier Les roses trémières Les toits végétalisés Tout ce qui est en train de pousser Tout ce qui est en train de se passer Dans le quartier
Et comme depuis la nuit des temps Et comme depuis que le monde est monde, Fortes et fières Les bras qui restent levés Imaginer, planter, dégrapper Parce qu’on prend les choses en main A l’échelle du quartier.
17 juillet 2022
Paru dans Quartier libre 127 – automne-hiver 2022-2023
Il y a des choses immuables. La tarte aux pruneaux du Jeûne genevois en fait partie, couper chaque moitié du fruit en deux avec trois générations au-dessus de la table de la cuisine. C’est ce qui reste de cette pratique qui vient de l’antiquité, jeûner pour des raisons médicales ou spirituelles, puis de la tradition biblique, jeûner en cas de guerre, de cataclysme naturel, de maladie, de deuil, par solidarité avec des répressions qui ont lieu ailleurs ou en cas d’épidémie. Peut-être qu’on devrait réellement jeûner, en fait. A défaut, on se raccroche aux pruneaux (je me répète, coupés en quatre), on profite de la chance qu’on a et on garde ces moments précieusement.
Il y des choses que l’on croyait immuables, mais à notre grande stupeur, non. Les pruneaux ont mûri trop tôt et, selon la Tribune du jour, Genève perd ses pruniers. Climat, économie. Mais bon, ce petit billet se destine plutôt à regarder très loin en arrière. En s’inspirant largement des textes cités en référence.
Tout d’abord, qu’est-ce qu’un jeûne ? Depuis l’Antiquité, le jeûne est pratiqué pour des raisons médicales ou spirituelles. Dans la tradition biblique, le jeûne est présent dès l’Ancien Testament. On jeûne en cas de guerre, de cataclysmes naturels, de maladies et épidémies et de deuil.
Et en Suisse ? En Suisse, on jeûne depuis le 15e siècle. La Diète (assemblée des députés issus des cantons) organisait des journées de pénitence et d’actions de grâces en cas d’événement grave comme la peste, la guerre ou la famine, mais les cantons décidaient des modalités et de la forme de ces jeûnes.
Le jeûne à Genève Le premier jeûne dont on trouve une trace dans les archives est célébré en octobre 1567 à l’occasion d’une répression contre les protestants de Lyon. Le procès-verbal de la Compagnie des pasteurs du 5 octobre 1567 indique qu’il est «signifié le jeusne public, et toute l’Eglise exhortee a prieres extraordinaires et repentance.»
Il y eut certainement des jeûnes antérieurs qui ont eu lieu dès les premiers temps de la Réforme, mais ils ne sont pas documentés. D’autres jeûnes sont proclamés par la suite, par exemple en signe de solidarité avec le massacre de la Saint-Barthélémy en 1572 ou lors des guerres contre la Savoie en 1589. Dès 1640, comme dans l’ensemble des cantons suisses réformés, le jeûne devient quasi annuel. Il s’agit d’un acte moral et religieux, un signe d’affliction et d’humilité face aux malheurs du monde.
Lorsque Genève est annexée à la France entre 1798 et 1813, le jeûne devient une fête patriotique et permet de marquer tant l’identité protestante que genevoise. Cette couleur patriotique du jeûne est maintenue à Genève, qui décidément ne fait jamais rien comme les autres et qui instaure un jeûne genevois à une autre date que celle du Jeûne fédéral institué en 1832 par l’ensemble des cantons suisses chaque troisième dimanche de septembre.
En effet, les protestants genevois ne sont pas d’accord avec cette décision fédérale œcuménique et en 1837, quelques pasteurs annoncent le rétablissement du Jeûne genevois le jeudi – seul jour de la semaine sans marché- qui suit le premier dimanche de septembre. Ces pasteurs célèbrent trois cultes à la Madeleine, à Saint-Gervais et à Saint-Pierre, puis sont censurés et l’un est même suspendu de prédication pour six mois.
Pour finir, en 1840, Genève instaure officiellement son propre Jeûne, accompagné d’un jour férié jusqu’en 1869. A partir de cette date, il devient moins institutionnel et commence à perdre sa signification religieuse.
Le 8 janvier 1966, le Grand Conseil modifie une loi et déclare férié le jour du Jeûne genevois à la place du 1er mai. Ainsi, Genève garde son jeûne genevois le jeudi suivant le premier dimanche de septembre.
La tarte aux pruneaux Comme l’écrit Claude Bonard, «telle est donc l’origine des jeûnes qui consistent à « offrir sa faim au profit d’une cause. Mais l’estomac ayant tout de même ses exigences, il fallait tout de même prendre quelques forces. » Et c’est là qu’intervient la désormais traditionnelle tarte aux pruneaux. Cuisinée la veille, elle permettait aux femmes et aux domestiques de participer au culte du jour (culte qui au 18e siècle commençait tôt le matin pour se terminer à quinze heures). Au départ, c’était la seule collation de la journée, puis de fil en aiguille elle est devenue le dessert d’un bon repas dont chaque famille a sa propre recette.
Une bonne tampougne au Salève En triant il y a quelques années la bibliothèque de ma grand-mère, je suis tombée sur Le Livre de Blaise écrit par Philippe Monnier en 1904. Un livre que je détestais, car quelque part il y est écrit que «les filles, ça pleure tout le temps», phrase que nous répétait régulièrement ladite grand-mère pour nous reprocher la moindre larme qui menaçait de couler. Avant de le jeter par la fenêtre, je l’ai quand-même feuilleté et je me suis réconciliée avec ce texte et cette écriture genevoise savoureuse, au point de rire de bon coeur avec son protagoniste, le petit Cuendet, qui s’y exclame: « Le Jeûne, c’est un jour où on se paie une bonne tampougne au Salève » !
Extrait du procès-verbal de la séance de la Compagnie des pasteurs du vendredi 5 octobre 1567: « Au commencement d’octobre vindrent nouvelles de la prinse de Lion et des troubles de France recommenceant. Pourtant fust signifié le jeusne public, et toute l’Eglise exhortee a prieres extraordinaires et repentance. »
Port de Loguivy de la Mer, marée basse, une trentaine de bateaux à cale sèche posés sur le sable, les goélands, leurs cris, le phare de la Croix au loin, sur une toute petite île, un phare pas très haut dont le haut est peint en rouge, les maisons autour du port, le petit parking, la cabane de la crêperie, le restaurant Au grand Large. Le monument aux aviateurs anglais morts pendant la guerre au pied de l’église, récente église mais sa vierge en bois provient du 14e siècle, immenses coquilles saint-jacques sur le sable découvert par la marée basse, un scooter rose, les nuages dans le ciel bleu comme des moutons dans un tableau, les crêpes qui dégoulinent de caramel au beurre salé, le rayon de soleil sur le bateau de pêche rouge, les volets bleus couleur de la vierge mais il y en a aussi des rouges. Les agapanthes, plus haut dans les ruelles, au pied des murs et dans les jardins, et les roses trémières.
De là les pêcheurs partaient pour l’Islande et les Terre-Neuvas, conditions de vies abominables sur les goélettes, naufrages, veuvages, orphelins, les armateurs de Paimpol ne s’embarrassaient pas de considérations humaines, la pêche à Islande, dur destin des marins, des pêcheurs, la grande pêche. La morue. Cette histoire se ressent, là, des calvaires, des monuments avec les noms des bateaux naufragés, des marins et pêcheurs noyés, des veuves restées sans ressources, pas les noms des armateurs riches toujours plus riches, la grande pêche, la morue.
Sur une table de la crêperie j’écris, le petit port sent la mer, la tranquillité, le caramel salé, la lumière bretonne de l’été. Loguivy de la Mer.
Update printemps 2024: et ça continue! Développement toujours ci-dessous. Update de cette fin d’été 2023: le serpent grandit à nouveau! Développement ci-dessous.
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25 juillet 2022: le début de l’histoire
Il ondule à Saint-Jean et grandit au fil des jours grâce à tout le monde: voici le serpent en galets peints du quartier. Sur une idée découverte à Jussy où se développe un rocksnake, voici le principe:
Chacune, chacun décore une petite pierre, un caillou, un galet et l’ajoute en déplaçant la queue, et on verra bien jusqu’où on ira! La participation est ouverte à tout le monde!
De la peinture et de la fantaisie, tout simple. Amusons-nous joyeusement en couleur! Lancé par un collectif du coin, habitant.es d’ici et des Ouches.
Partagez vos photos, votre créativité et vos idées: #serpentengaletsdesaintjean
Le serpent grandit: une famille du quartier a envoyé cette photo, une adorable petite main ajoutant son joli galet:
Le serpent est arrivé il y a un mois fin juillet 2022, il continue à grandir et tous les soirs on peut admirer de nouveaux galets ! Un atelier est organisé par le Forum 1203 samedi prochain 3 septembre dès 10h dans le cadre de La rue est à vous au Devin-du-Village, à votre imagination!
Les photos de l’atelier:
Début octobre 2022: le serpent a grandi de 20 cm à 20 mètres en huit semaines! A vos pinceaux, vos couleurs, vos idées, on va jusqu’où ?
Fin août 2023 Cela fait un moment que je me demandais quoi faire avec ces galets peints un peu décolorés, l’hiver avait passé par là. Tout enlever, les laisser? Le serpent a gardé fidèlement les poèmes de jardin depuis le printemps, puis les poèmes se sont envolés. Et puis un nouveau galet peint a fait son apparition, puis un autre (du coup comme une larme d’émotion dans mes yeux). Et puis un rallye familial a inclus un poste galets peints (quelle belle rencontre dimanche dernier). Et puis la jeune Paula aus Greifswald est venue nous rendre visite. Et puis je l’ai embarquée pour repeindre la tête du serpent, qui avait perdu ses couleurs. Et puis voilà, c’est reparti.
Septembre 2023 Cela se passe comme ça dans le quartier! Une meute de jeunes scout.e.s, louvettes et louveteaux, sont venus déposer leurs galets réalisés pendant leur séance de l’après-midi. Des adorables petites mains les ont soigneusement déposés, dans un bruissement de rires. Des taches de peinture partout, spécialement sur leurs petits nez!
Mars 2024 Ce second hiver du serpent a rendu à nouveau certains cailloux un peu pâlichons, mais ce reptile a une ascendance Phénix avérée. Une fin d’après-midi, en revenant du travail, je découvre de nouveaux galets super jolis, des fleurs, un poing levé. Alors je lui ai remis une tête (quelqu’un avait dû bien aimer celle repeinte par la jeune artiste allemande), et tout repart! On verra bien.
Il s’apelle
Jean Batsi et apparaît sur une page dans le troisième volume de la trilogie
« Un pape suisse » de Jacques Neyrinck, il vit dans les sous-sols de
la gare de Milan, toi tu lis l’histoire et il te fait pas trop rêver ce
personnage qui est gris de crasse, qui survit avec les restes de la rue et les
fonds de bouteille et qui t’emmène loin de l’univers des premiers romans où tu
buvais avec ce qui se révélera être son cousin un bon vin de Fully au soleil
couchant sur la terrasse élégante en face des sommets alpins.
Sauf que Jean Batsi, qui sent mauvais et qui a les dents pourries, qui en est arrivé à la rue après un licenciement, un divorce, la fin de droit du chômage, la chute qui ne cesse de chuter et puis la cassure finale, tu te dis que Neyrinck est vraiment fort en matière de réalité, ce clochard donc quand il arrive à avoir son verre de vin, qu’il voit une photo de fille nue bien charnue ou qu’on lui offre miraculeusement un repas, il s’exclame invariablement « la vie est bonne ».
Et là tu le trouves sympa ce Jean, parce que l’auteur évidemment te conduit à le trouver sympa, mais c’est plus que de la sympathie, et tu te dis que son expression elle est pas mal, qu’il a raison, et tu vas te surprendre à la réutiliser. Pas dans le même contexte bien sûr, dans ta vie bien bourgeoise, plus proche de celle du cousin de Fully que du pauvre hère déchu, mais dans cette vie où tu as réalisé que reconnaître les moments de grâce, c’était une des choses les plus importantes, que peut-être c’est là l’essentiel de la vie à ce moment-là de ton existence. Et le « la vie est bonne » de Jean Batsi, il va t’échapper souvent désormais.
Quand tu es dans le train, qu’un rayon de soleil vient chauffer ta joue à travers la vitre, côté lac, la vie est bonne. Quand tu t’assieds sur le banc de la Treille avec ta salade bio et que tu laisses de côté pour quelques minutes le stress du travail, ou même pas le stress, juste les embêtements ou les questions difficiles à résoudre, que tu arrives à les tenir à distance et que tu regardes le marronnier, et que tu te dis qu’il est somptueux, ce marronnier, la vie est bonne. Quand tu t’arrêtes au bord de la route avec ton vélo pour observer la rose trémière qui a poussé entre deux bouts de trottoirs, et qu’elle t’émeut cette fleur, la vie est bonne.
Ces petits moments pleins, tenus loins du Coca zéro, du lait demi-écrémé, de la conversation en trois parallèles de réseaux, de la cent-cinquantième partie de ton cerveau qui rappelle à la cent-quarante neuvième de passer chercher dimanche prochain à 9h le gâteau d’anniversaire à la boulangerie, mais as-tu rappelé cette boulangerie pour confirmer le texte dessus, ces petits moments entiers que tu peux accueillir grâce à ton vide que tu cultives précieusement depuis que tu as commencé à l’apprivoiser, dans un de ces petits moments tu entends l’oiseau chanter que la vie est bonne, et Jean Batsi, quelque part sur un banc, dans un livre, l’écoute aussi et il est bien d’accord avec lui.
Lettre ouverte à Monsieur Gilbert Vonlanthen, Président, et aux élu.e.s des communes membres de l’Association des communes genevoises (ACG)
Monsieur le Président de l’ACG, Mesdames et Messieurs les élu.e.s des communes genevoises,
Il neige sur Genève
en ce soir du premier avril 2022, il neige sur le temple de la Servette qui
depuis quelques jours n’accueille plus les sans-abris, il neige et nous voici
au sous-sol de ce temple réunis autour d’une table ronde sur la précarité,
découvrant que, faute de moyens, d’autres lieux d’accueil ont fermé leurs
portes ce matin.
Il neige et nous
sommes aux côtés de personnes qui vont dormir dehors ce soir après cette table
ronde, il neige et nous sommes aux côtés des travailleurs sociaux
institutionnels et associatifs, ceux du terrain, ceux qui se sont démenés tout
l’hiver. Ils sont complètement démunis et impuissants, parce qu’il neige, et
que 225 personnes dorment dehors à partir de cette nuit.
Elles dorment dehors
à partir de cette nuit parce que l’aide d’urgence est saisonnière et qu’elle
s’arrête au 31 mars, faute de ressources mises à disposition. Dès ce soir, les
structures d’urgence sont fermées. Alors à Genève, ville couleur bleu foncé sur
le Monopoly mondial, 225 personnes dorment dehors. Dans les parcs et sous les
ponts. La neige tombe.
Il y a urgence sociale,
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les élu.e.s des communes
genevoises, il y a urgence à ce que la Ville et les communes se mettent
d’accord sur le financement de l’accueil d’urgence des personnes sans abri. Nous
savons que des négociations vont avoir lieu ces prochains jours et qu’elles
peuvent régler une grande partie de la question.
Il y a urgence à
mettre en œuvre une politique sociale sur le sans abrisme et la grande
précarité comme l’exige la loi sur l’aide aux personnes sans abri, la LAPSA,
votée le 3 septembre 2021 par le Grand Conseil. Cette loi établit, dans son article premier, qu’elle vise à
garantir à toute personne sans abri la couverture de ses besoins vitaux.
Cette loi a été
votée en septembre passé, nous sommes en avril. Il y a urgence sociale. Des
vies humaines sont en jeu. La solution est entre vos mains, Monsieur le
Président, Mesdames et Messieurs les élu.e.s, il faut octroyer les moyens
nécessaires maintenant, pas après-demain, via le fond intercommunal de l’ACG.
225 places
d’hébergement manquent depuis cette nuit du 1er avril. Il y en avait
579 pendant l’hiver, il n’en reste que 354. Et il neige. La solution est entre
les mains des communes, qui doivent assurer l’hébergement collectif d’urgence,
incluant les repas qui y sont consommés et les soins élémentaires d’hygiène qui
y sont dispensés (art. 3 de la LAPSA).
Alors nous,
citoyennes et citoyens, attachés au principe fondamental de la dignité humaine
garanti par la Constitution, indignés que des personnes dorment dehors sous la
neige à Genève alors que la solution est à portée de main, nous vous demandons,
Monsieur le Président de l’ACG, Mesdames et Messieurs les élu.e.s des communes
genevoises, de délivrer immédiatement cette aide inconditionnelle, comme le
prévoit l’article 2 de la LAPSA.
Nous vous prions de recevoir, Monsieur le Président de l’ACG, Mesdames et Messieurs les élu.e.s des communes genevoises, nos salutations distinguées.
Anouk Dunant Gonzenbach; Maurice Gardiol; Jean-François Duchosal; Denise Mützenberg
Cette lettre ouverte est également signée par:
Bénédicte Amsellem-Ossipow; Isabelle Anderegg; Didier Arnoux; Aline Amman; Association Eric Roset photographe; Daouda Bagagnan; Léonore Baheler; Maria Manuela Bailao; Valérie Balleys; Julie Barbey Horvath; Michel Bavarel; Dina Bazarbachi; Roland Benz; Monique Bernhard; Eric Bernhard; Céline Berset; Nathalie Berset; Joëlle Bertossa; Sébastien Bertrand; Antoine Beuret; Alain Bolle; Didier Bonny; Nadia Boreggiani; Bernard Bucher; Sophie Buchs; Maryelle Budry; Pierre Bühler; Nicolas Burlet; Clément Bucco-Lechat; La Caravane sans frontières; Inès Calstas; Marozia Carmona Fischer; Maria Castro Fuchs; Émilienne Cavazzana; Noémie Chatelanat; Christiane Chanson; Olivier Chanson; Sandra Cherpillod; Françoise de Cocatrix; Ludivine Cornaglia; Astrid Costes; Loraine d’Andiran; Catherine d’Andiran; Christian Dandrès; Alexandre Davidoff; Véronique Davidoff; Anne-Claire Decorvet; Claire de Buren Massy; Marie de Coulon; Filipe A. Contreira de Almeida; Léa Di Paolo; Patricia Dori-Chatelan; Claire Descombes; Christine Dowmont; Sarita Dumitriu; Christiane Dunant; Véronique Dunant; Eric Dunant; Marc Dunant; Lucien Durand; Jasmine Egli; Caroline Eichenberger; Walter el Nagar; Pierre Emonet; Cyril Erni; Micael Fernandez; Ingrid Freymond; Aurélien Fontanet; Jean-Luc Fornelli; Désia Fournier; Jacques Fournier; Nicolas Fournier; Cécile Frossard; Stéphane Fuchs; Giuseppe Fusco; Antonio Gambuzza; Anne François; Edith Gardiol; Raphaël Gardiol; Paul Ghidoni; Fabienne Gigon; Hélène Gerster; Laure Giossi; Véronique Girardet; Regina Ghosn; Lila Gonzenbach; Martin Gonzenbach; Jocelyne Haller; Aude Hauenstein Fleury; Marie-Hélène Giroud Tschopp; Sandra Golay; Francisco Gonzalez; Raluca Hartu; Marie-Claude Hefti; Martha Herrera; Antoinette Hofer; Joël Hofer; Pascal Holenweg; Jordan Holweger; Manon Hotte; Lysiane Hulser; Anne Hugo Erni; Stéphanie Jaquet; Annick James; Françoise Julier-Costes; Léo Kaneman; Théo Keel;Jean-Pierre Keller; Catherine Koch; Nadjète Krounba; Caroline Lacombe; Christian Lanza; Florence Larsen; Victoire Lecuyer; Ana Maria Lopez Galeano ; Christophe Loup; Yves Magat; Nathalie Magnin; Ada Manghi; Raymonde Manigley; Dorothée Marthaler Ghidoni; Catherine Méan; Michael Mann; Sandra Mann; Béatrice Manzoni; Silvana Mastromatteo; Lucie Matthey Bradley; Noam Mazenauer; Gaëlle Merminod; association Mesemrom; Thérèse Moreau; Nataniel Mendoza; Judith Meylan; François Mireval; Tiberiu moldovan; Janine Moser; Henry Mottu; Liliane Mottu-Weber; Marcel Mühlestein; Isabelle Muletier; Jala Nemchi; Marion Nemchi; Michèle Nemitz; Martina Novotni; Annelise Ogi-Hurni; Fabio D’Onofrio; Fanny Omar; Marguerite Papis; Jean-Pierre Papis; Damien Pattaroni; Guenevere Paychère; Mai-Thu Perret; Mladenka Perroton-Brekalo; Colin Peillex; Nicolas Pictet; Valérie Piguet; Géraldine Puig; Fitore Pula; Christiane Rist; Gilbert Rist; Isabel Rodriguez; Nathalie Ruegger; Francisco Rojas; Alina Roset; Almaya Roset; Eric Roset; Dimitri Ruiz; Mattia Sabbatini; Juliette Salaices Alba; Michel Schach; Cindy Schaer; Simon Schmidig; Mireille Senn; Sylvia Serafin; Isabella Siddiqi; Baudoin Sjollema; Frederik Sjollema; Silvia Stendardo; Noémie Sommer; Didier Soncini; Valérie Spagna; Franca Stahl-Vilar; Danya Stasius; Brigitte Studer; Karin Strescher; Daniel Schweizer; Francesca Suardi; Irène Toro; Brigitte Thévenon Mossi; Sylvain Thévoz; Dorothée Thébert; Gérald Thomann; Evelyne Vachoux; Ria van Beek; Patricia Vatré; Laurianne van Bever; Suzanne Vetterli; Hans-Ruedi Vetterli; Stéphanie Vez Turin; Anita Varela; Barbara Vischer-Schmidt; Oscar Vilar; Sophie Wahli-Raccaud; Nathalie Wenger; Inès Wiesner; Joanne Wiesner; Françoise Wos; Yasmine Yagchi; Ludivine Zanetta Corbat; Linda Zehetbauer; Carla Zepeda Giger; Manuel Zwyssig Philippe Bertin; Sylvie Bertin; Lorianne Cherpillod; Rose-Marie Völki; Camille Barbey; Laetitia Reversy; Jean-François Berger; Mireille Rupp; Françoise Wierbrok; Anne Reversat; Ruth Hutmacher; Anne Vandeventer Faltin; Louki Mattenberger; Marianne Studer; Suzanne Nozaki; Maud Saini; Fiera Falcone; Flore Castiglione; Myriam Magnenat; Michel Jeanneret; Philippe Bertin; Sylvie Bertin; Lorianne Cherpillod; Rose-Marie Völki; Camille Barbey; Laetitia Reversy; Jean-François Berger; Mireille Rupp; Françoise Wierbrok; Anne Reversat; Ruth Hutmacher; Anne Vandeventer Faltin; Louki Mattenberger; Marie-Hélène Giroud Tschopp; Françoise de Cocatrix; Claude Lander; Maria Lander; Henriette Leubaz; Joëlle Grandjean; Claire-Lise Moser; Stephan Bratschi; Eva Abouchar; Elisabeth Beer; Pierre-André Wasser
235 personnes ont ajouté leur nom à la pétition en ligne ouverte entre le dimanche matin 3 avril et le mercredi soir 7 avril ( nous avons dû mettre en place ce système de pétition en ligne, n’arrivant plus à gérer le nombre de mails de soutien qui arrivaient. L’Esprit de Genève n’est pas un vain mot).
Cette lettre ouverte a été envoyée par courriel le dimanche soir 3 avril 2022 au Président de l’ACG, au comité de l’ACG ainsi qu’aux conseillères et conseillers administratifs des communes genevoises, munie de plus de 300 signatures
Au total, 535 personnes auront signé la lettre ouverte.
Après 4 jours de médiatisation de la situation et de négociations à différents niveaux, l’Association des communes genevoises a voté un crédit extraordinaire de 6,2 millions provenant du Fonds intercommunal lors de son assemblée générale de mercredi soir 6 avril 2022.
«Sans-abris : pour une politique cohérente et coordonnée – débat» . Pascal Décaillet reçoit Maurice Gardiol, Signataire de la lettre à l’ACG; Thierry Apotheloz, Conseiller d’Etat, cohésion sociale; Bertrand Reich, Président du PLR genevois », Genève à chaud, Léman bleu, 5 avril 2022.
Des pigeons
des faisans
des tourterelles
un coq
trois ânes
quatre chèvres
deux ratons laveurs
un yack
deux moutons steppes et un petit
deux daims
un ocelot
deux lamas
cinq paons
et un éléphant.
L’éléphant, c’est Saphir. La liste, les animaux qui ont été mis aux enchères au zoo de Saint-Jean, le jeudi 21 février 1944. Il y en avait bien plus, au départ, des animaux, quand cinq années plus tôt le zoo a ouvert. Mais s’enchainent fièvre aphteuses, problèmes financiers, la guerre. Beaucoup d’animaux sont morts de faim, plus de viande pour les nourrir, la guerre rationne. Longtemps on a retrouvé leurs os, leurs crânes, leurs dents, à cet endroit du quartier.
C’était entre le Nant Cayla et la campagne
Masset, le zoo, une idée d’un certain Henry Larsen, un taxidermiste danois qui
travaillait au Museum de Genève. La plupart des animaux ont été donnés, les
pélicans par Pelikan, l’éléphant par le directeur originaire du Sri Lanka d’un
magasin situé en bas de la rue du Mont-Blanc, la Maison Turco-indienne Saphirs.
De la publicité pour sa bijouterie, le don de l’éléphant Saphir. Qui est venu
depuis Ceylan par bateau jusqu’à Marseille puis en train jusqu’à Genève.
Le
soleil tapait, à l’inauguration du zoo en 1935. Le journaliste de la Gazette de
Lausanne qui était là raconte la chaleur sur les huttes rouges aux toits de
chaumes, le soleil sur les palmiers tropicaux, les buffles qui cherchent de
l’ombre, les sangliers qui errent mollement.
L’éléphant de la liste en-dessus, c’est
Saphir. Mis aux enchères à la fin de l’aventure, quand le zoo a fait faillite.
Que devient un éléphant mis aux enchères, à Genève. Un éléphant c’est gros, même
si celui-ci est petit, mais Saphir a laissé peu de traces. Selon les récits,
deux paysans de Chêne-Bougeries l’ont acheté pour huit cent francs, pour
économiser de l’essence, deuxième guerre mondiale, un éléphant c’est une bonne
idée pour remplacer un tracteur et labourer les champs. Un harnais en cordage a
été fabriqué pour lui.
Mais l’animal ne comprend pas le patois, pas
l’anglais, pas le français. Impossible de le faire obéir. Selon les récits toujours, ses propriétaires le vendent au cirque
Knie. Si on cherche des traces de Saphir, rien. Pas de mention des acquéreurs
chênois dans les archives de la vente aux enchères, ni dans celles laissées par
le jardin zoologique. Pas d’informations dans la Feuille d’avis officielle,
rien dans les vieux journaux. Un éléphant, c’est gros, mais Saphir a laissé peu
de traces.
Ce qu’il reste, c’est une maison, aux
Eidguenots, construite avec les briques de l’enclos aux éléphants. Les gens
venaient se servir des restes des constructions, dans le quartier. Il y en a
qui ont récupéré le fumier d’hippopotame pour faire pousser des salades.
De Saphir, plus aucune trace. Peut-être que parfois, il se promène encore là, dans les terres au-dessus du Rhône, au milieu du décor africain dessiné au mauvais moment par un passionné que l’histoire a presque effacé. J’aime imaginer l’éléphant marcher nonchalamment avec à ses côtés, le petit garçon à la mèche en forme de jet d’eau.
Tu arrives là-haut sur le toit de la Suisse et ton cœur ne fait qu’un tour, tu le savais que c’était si beau mais à chaque fois le cœur ne fait qu’un tour c’est si beau tous ces piz là autour et puis tu penses au glacier là de l’autre côté qui fond tellement et ton cœur fait un tour dans l’autre sens mais c’est si beau jusqu’au Mont-Rose là-bas tu vois et puis tu penses que après tu vas boire un café là tout en haut et que pour entrer dans le restaurant il n’y aura pas besoin de masque et ton coeur repart de nouveau dans l’autre sens, là sur le toit de la Suisse tu ne sais plus très bien quoi penser juste que tu vis que c’est beau que c’est si beau spectaculaire ce blanc tout ce blanc et ces sommets si loin on voit si loin puissant de voir si loin depuis si haut et tu aimes ce lieu cette vallée et tu aimes l’odeur de l’arole et ce matin tu as vu un cratschla devant la fenêtre et ton coeur repart
La bise frigorifie
les rues de la vieille ville, c’était une mauvaise idée de se donner
rendez-vous dehors, à la pause de midi, devant le carrousel, et d’arriver en
avance. Alors en attendant, c’est peut-être le moment, enfin, d’aller voir le
rouet au plafond, celui qui est dans tous les guides de la Genève insolite. Contourner
les sobres murs de pierre, pousser la porte.
Il y a de la
lumière, rentrer, d’un coup on est à l’abri. Sur la gauche, un bar à thé et à
café, une crouzille. Et des madeleines, faites maison précise la dame. Des
madeleines et une dame, juste
comme ça, pour la gourmandise et quelques mots, mais si on le veut seulement. Sur
la droite, une grande table, des chaises, à dispo, un peu plus loin trois fauteuils aux couleurs vives.
Cosy. On peut se poser là, et pique-niquer. Sans rien expliquer.
Un rouet au plafond.
C’est joli, l’histoire voudrait qu’une fileuse soit à l’origine de ce bâtiment,
qu’elle aurait légué à sa mort le fruit de son travail de la laine pour le
construire, mais non. En vrai, ce ne serait pas le rouet de la fileuse, mais les
armoiries de la famille de Rolle, qui au milieu du 15e siècle a
relevé les voûtes de la nef. De la nef, parce qu’on est là dans la plus vieille
église de Genève. De son clocher sonne chaque heure la plus vieille cloche de
la cité, le Grillet, qui nous vient de 1420. La plus vieille église de Genève,
devenue l’un des premiers temple, à la Réforme. Le temple de la Madeleine.
Derrière cette porte qui s’est ouverte, un coup de cœur. Calme, lumière et accueil. Des madeleines, des chaises et une table, s’y asseoir, avec son sandwich et ses collègues. Tous les jours sauf lundi entre midi et 17h. L’accueil, mais pas besoin d’adhérer, d’être d’accord ou je ne sais. Juste être là. C’est un peu cela dont nous avons besoin, là où on en est, aujourd’hui. Au cœur des rues couleur bleu foncé du Monopoly, la simplicité.
Publié dans le GHI, rubrique Point de vue, 3 mars 2022.
L’objet se décline en couleurs pastel et goûts de l’enfance.
Ses concepteurs, évidemment malins, l’ont produit satiné, agréable à caresser,
le design super bien pensé. On dirait un petit stylo, d’ailleurs les parents et
profs pensent que c’est un petit stylo. Ou une nouveauté geek de jeune gamer,
qui donnerait presque envie de se mettre à jouer. Le tenir en main est déjà une
sensation qui fait plaisir. Il ressemble à tout sauf à ce qu’il est : la
nouvelle version de la cigarette électronique. Son nom : le puff.
Jetable, quasiment invisible à détecter, fumable partout en
continu, en classe, dans les couloirs du cycle, dans sa chambre. On se le
procure au kiosque en face de l’école primaire, au rayon sucettes. Une dizaine
de francs la pièce, 600 taffes, le vendeur n’est pas regardant sur l’âge de
l’acheteur, qui d’ailleurs le fauche souvent.
L’enfant, l’ado, suçote ensuite sans s’arrêter ce biberon,
qui contient 5% de nicotine. Puis il le jette à la poubelle en revenant des
cours, pas de risque que le parent tombe sur la cigarette électronique
rechargeable (ou le paquet de cigarettes de l’époque) planqué dans la pile de
caleçons. Quand il vape, pas de
fumée et les adultes autour n’y voient que du feu, on est en retard de trois
guerres comme d’habitude depuis que le monde est monde, et je suis en colère. C’est
comme d’utiliser les dernières découvertes de la psychologie pour rendre les
ados encore plus accros aux jeux en ligne, de développer cet objet diabolique
pour les rendre dépendants à cette substance psychotrope.
Le puff ne rentre pas dans le cadre de l’initiative « Oui à
la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le
tabac » car ce n’est pas du tabac. Dedans (mais ce n’est pas fait pour
être ouvert, puisqu’on le jette après usage), il y a une batterie, une
résistance qui fait corps de chauffe, une petite led qui s’allume quand on
aspire et une sorte de ouate imbibée de sirop de glycol et de nicotine. Catastrophe
écologique.
Un biberon à la nicotine. On le tète sans pause et on le jette. Marshmallow et sirop de fraise, tétine et douceur, addiction et tête de mort.